Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/69

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ce qu’il appelle lui-même « la noire idole. » Le dénoûment du livre laisse sous-entendre qu’avec des efforts surhumains l’auteur était enfin parvenu à se corriger ; mais cela pourrait bien n’être qu’un sacrifice à la morale et aux convenances, comme la récompense de la vertu et la punition du crime à la fin des mélodrames, l’impénitence finale étant de mauvais exemple. Et de Quincey prétend qu’après dix-sept années d’usage et huit années d’abus de l’opium, il a pu renoncer à cette dangereuse substance ! Il ne faut pas décourager les thériakis de bonne volonté. Mais que d’amour pourtant dans cette lyrique invocation à la brune liqueur :

« Ô juste, subtil et puissant opium ! toi qui, au cœur du pauvre comme du riche, pour les blessures qui ne se cicatriseront jamais et pour les angoisses qui induisent l’esprit en rébellion, apportes un baume adoucissant ; éloquent opium, toi qui par ta puissante rhétorique désarmes les résolutions de la rage et qui pour une nuit rends à l’homme coupable les espérances de sa jeunesse et ses anciennes mains pures de sang ; qui à l’homme orgueilleux donne un oubli passager des torts non redressés et des insultes non vengées ! » Tu bâtis sur le sein des ténèbres, avec les matériaux imaginaires du cerveau, avec un art plus profond que celui de Phidias et de Praxitèle, des cités et des temples qui dépassent en splendeurs Babylone ou Hécatompylos, et, du chaos d’un sommeil plein de songes, tu évoques à la lumière du soleil les visages des beautés depuis longtemps ensevelies et les physionomies familières et bénies, nettoyées des outrages de la tombe. Toi seul, tu donnes à l’homme ces trésors et tu possèdes les clefs du paradis, ô juste, subtil et puissant opium ! »

Baudelaire ne traduit pas intégralement le livre de de Quincey. Il en détache les morceaux les plus saillants, qu’il relie par une analyse entremêlée de digressions et de