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ANNAT.

qu’il le prouve. Ceux qui composent une histoire sont dispensés de prêter serment, et de fournir des témoins [1] : on les en croit sur leur parole, et sans qu’ils jurent ; mais pour ceux qui écrivent des libelles, c’est une faveur, c’est une civilité, que de les en croire sur leur serment, confirmé par des témoins. J’ai encore moins de lumières sur la deuxième question : je ne m’ingère pas à fouiller dans les abîmes du cœur. Sur la troisième je ne sais que la notoriété publique : c’est que le père Annat a été, sans interruption, confesseur du roi de France jusqu’au printemps de 1670.

(B) Une satire beaucoup plus moderne [2] débite beaucoup de faussetés sur son chapitre. ] L’auteur de cette satire suppose que le père la Chaise servit beaucoup à porter le pape à ce que le roi souhaitait de lui, après l’insulte de la garde corse, et que le cardinal Mazarin, en reconnaissance de ce service, lui fit mille caresses, le recommanda au roi, et le fit même admettre de son vivant dans le conseil de conscience ; ce qui était proprement le rendre coadjuteur du confesseur [3]. On met en marge l’année 1663, pour les premières caresses du cardinal ; et l’année 1665, pour l’admission dans le conseil de conscience. C’est bien savoir l’histoire moderne ! Où est l’homme qui ne sache que le cardinal Mazarin mourut en 1661 ? L’auteur ajoute que le père la Chaise supplanta le père Annat, en excusant les amours du roi pour la Valière sur l’infirmité de la nature, pendant que le confesseur chagrinait tous les jours le roi là-dessus, et ne lui donnait point de repos [4]. Il ajoute encore que la Valière, ayant su les maximes du père la Chaise, souhaita de l’avoir pour son confesseur, et lui fit proposer la chose par M. de Montausier [5] ; mais qu’en suite d’une conversation qu’elle eut avec ce jésuite, elle aima mieux lui procurer la place du père Annat ; et qu’en ayant parlé au roi, cette affaire fut conclue dans peu de jours, parce que le père Annat, qui ne tarda guère à venir annoncer les terribles jugemens de Dieu, et à demander son congé puisqu’on ne s’amendait pas, fut pris au mot [6]. On met en marge l’an 1667. J’avoue que je ne comprends rien à une telle hardiesse : car il est de notoriété publique que le père Aunat ne prit congé de la cour qu’en 1670 ; et qu’un jésuite du Rouergue, nommé le père Ferrier, prit sa place de confesseur de Louis XIV ; et que le père la Chaise n’y entra qu’après la mort du père Ferrier, arrivée le 29 d’octobre 1674 [7]. À quoi songent des gens qui publient des faussetés si grossières ? Comment ne voient-ils pas qu’ils ruinent leur principal but ? Car quel préjugé ne donnent-ils point contre tout leur livre, quand ils paraissent, ou si mal instruits des choses qui sont exposées aux yeux de toute la terre, ou assez dépourvus de honte pour oser publier des faussetés évidentes ? Ont-ils les maximes de certaines gens qui débitent une fraude pieuse à tout un peuple, en raisonnant de cette manière ? Pour un auditeur qui connaîtra que je me trompe, il y en aura mille qui ne le connaîtront point ; mille seront édifiés de ma fraude, un en sera scandalisé ; le mal sera donc petit en comparaison du bien ; il est donc de la charité et de la prudence d’assurer cette fausseté devant cette nombreuse assemblée. Je ne sais point si nos faiseurs de libelles raisonnent de la même manière ; mais je sais bien qu’ils parviendraient à leurs fins beaucoup plus heureusement, s’ils consultaient un peu mieux la chronologie et les règles de la fiction. Est ars etiam maledicendi, disait Scaliger [8] : il y a un art de médire ; ceux qui l’ignorent diffament moins leur ennemi, qu’ils ne témoignent l’envie qu’ils ont de diffamer. Au reste, c’est plus pour l’utilité publique que pour l’intérêt d’aucun particulier que j’ai fait cette remarque. Il est bon que, dans ce siècle, nous puissions juger des satires qui ont couru depuis mille ans,

  1. Quis unquàm ab historico juratores exegit ? Seneca, de Morte Claudii, init.
  2. Intitulée : Histoire du Père la Chaise, jésuite et confesseur du roi Louis XIV. À Cologne, chez Pierre Marteau, en 1693, in-12. La IIe. partie fut imprimée deux ans après.
  3. Pag. 106.
  4. Pag. 107.
  5. Pag. 108.
  6. Pag. 115.
  7. Ex Nathanael. Sotuelli Biblioth. Societatis, pag. 449.
  8. Scaligerana II, pag. 10.