Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
174
APICIUS.

n’a point omis. Lloyd a suivi en tout Charles Étienne, excepté qu’il n’a point dit que l’ouvrage de Gulæ Irritamentis soit aujourd’hui entre les mains de tout le monde. Il a considérablement augmenté l’article, en copiant ce que Lipse a remarqué sur les trois Apicius ; mais il n’a point su que le passage de Suidas, touchant les huîtres envoyées à Trajan au pays des Parthes, se trouve dans Athénée. La mémoire des plus grands hommes leur fait faux bond mille et mille fois. Voilà Lipse qui cite deux fois Athénée au sujet des Apicius, et qui ne se souvient pas d’un troisième endroit d’Athénée, aussi notable, pour le moins, que les deux autres [1]. S’il l’eût consulté, il n’eût point eu de soupçon que le mot Trajan fût corrompu dans Suidas. Hofman n’a fait que copier Lloyd, hormis qu’il a cité plus de passages. Ses citations ne sont pas toujours bien justes ; car, par exemple, il cite Sénèque de Consolatione ad Albin. et de Consol. ad Elbiam, comme si c’étaient deux ouvrages. Casaubon [2] attribue à Athénée d’avoir dit que plusieurs gâteaux portaient le nom du premier Apicius : mais il est certain qu’Athénée dit cela du second Apicius, de celui qui vivait sous l’empire de Tibère : Ἐγένετο δὲ κατὰ τοὺς Τιϐερίου χρόνους ἀνήρ τις Ἀπίκιος, πλουσιώτατος, τρυϕητής, ἀϕ᾽ οὗ πλακούντων γένη πολλὰ Ἀπίκια ὀνομάζεται [3]. Tiberii sæculo vixit Apicius, vir ditissimus, luxu solutus, à quo complura placentarum genera Apicia nominant. Dalechamp a laissé dans la traduction d’Athénée une faute dont il était facile de s’apercevoir. Elle est au IVe. livre, page 168, E. Athénée, ayant rapporté ce que Posidonius avait dit touchant le premier Apicius, homme diffamé pour sa gourmandise, ajoute : Περὶ δὲ Ἀπικίου τοῦ καὶ αὐτοῦ ἐπὶ ἀσωτίᾳ διαϐοήτου ἐν τοῖς πρώτοις εἰρήκαμεν ; ce qui signifie que, dès le commencement, il avait parlé d’Apicius, qui était fameux lui aussi par sa gourmandise. Ainsi la version latine est fausse : Anteà nos quoque istius Apicii ob immodicum luxum famosi meminimus : elle est, dis-je, doublement fausse car elle ne répond point à la force des mots grecs, et elle impute à Athénée un mensonge. Il n’est point vrai qu’Athénée eût déjà parlé de l’Apicius dont Posidonius avait fait mention. Dalechamp marque qu’Athénée, au IIIe. livre, a parlé du même Apicius dont il s’agit au commencement de la page 7 [4] : je crois que cela est faux. Je ne dis rien sur ce qu’il cite Cœlius, l. 5, cap. 30 [5]. Il veut parler de Cœlius Rhodiginus, dont le Ve. livre n’a que quatorze chapitres : c’est le chapitre XI du IXe. livre qu’il fallait citer [6]. Cet auteur dit là plusieurs choses d’Apicius ; mais s’il falsifie partout ailleurs ce qu’il cite, comme il falsifie en cet endroit un passage d’Athénée, malheur à ceux qui le donnent pour leur caution. Âthénée, selon lui, raconte qu’Apicius, cherchant une espèce d’écrevisses à Alexandrie, avec une extrême diligence, apprit qu’on en prenait de fort grandes sur les côtes de Libye : tout aussitôt, il fit voile de ce côté-là ; et ayant trouvé qu’on lui en avait fait accroire, il maudit le pays, et s’en éloigna, bien résolu de n’y retourner de sa vie. Ce n’est nullement ce qu’Athénée rapporte : il dit qu’Apicius mangeait à Minturne, dans la Campanie, une espèce de sauterelles d’eau, qui surpassaient en grosseur les écrevisses d’Alexandrie ; et qu’ayant appris qu’on en trouvait en Afrique, qui étaient d’une grandeur démesurée, il s’y transporta sans délai et avec bien des incommodités. Les pêcheurs, avertis de son arrivée, lui allèrent au-devant avec les plus grosses sauterelles qu’ils eussent pêchées : il n’eut pas plus tôt su d’eux qu’ils n’en avaient point qui surpassassent celles-là que, sans avoir voulu prendre terre, il donna ordre qu’on le ramenât à Minturne [7].

L’auteur moderne, que j’ai cité, a eu tort de dire que le manuscrit d’Apicius fut trouvé dans l’île de Maguelonne, par Énoch d’Ascoli, sous le pontificat de Nicolas V. Il s’appuie

  1. C’est celui du liv. I, pag. 7. A.
  2. In Athen., pag. 23.
  3. Athen., pag. 7, A.
  4. Dalecamp. Not. in Athen., pag. 706.
  5. Idem, ibid.
  6. Je ne prétends pas nier que la Ire. édition de Rhodiginus ne fût autrement divisée en livres et chapitres, que celle dont tout le monde se sert.
  7. Athen., lib. I, pag. 7. B. C.