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APION.

tions difficiles et peu importantes. ] Jules Africain le nomne le plus pointilleux des grammairiens, ou celui qui recherchait les choses avec le plus de curiosité et de scrupule περιεργότατος γραμματικῶς [1]. Selon Suidas, on lui avait donné le surnom de μόχθος ; ce mot signifie travail, et a plus de force en cet endroit que celui de μοχθηρὸς laborieux, ou importun, qui, selon la conjecture d’un habile homme [2], s’est peut-être glissé dans Suidas au lieu de μόχθος.. Didyme, qu’on surnomma χαλκέντερος [3], c’est-à-dire, l’homme aux entrailles d’airain, eut en la personne d’Apion un disciple qui fut son parfait imitateur. Apion, laborieux comme son maître, eut, comme lui, un surnom qui marquait ce tempérament ; je ne pense pas que le disciple fût d’un autre goût que maître touchant le choix des matières. Didyme fit des traités sur la patrie d’Homère, sur la véritable mère d’Énée, sur les mœurs d’Anacréon et de Sappho [4]. Son disciple rechercha si ardemment quelle était la patrie et la famille d’Homère, qu’il se servit pour cela des évocations magiques. Il crut avoir fait une remarque merveilleuse, lorsqu’il découvrit que les deux premières lettres de l’Iliade, prises numéralement, valaient 48. Sur ce fondement, il assura qu’Homère attendit à mettre le premier vers à la tête de l’Iliade, que ses deux poëmes fussent achevés, et que, pour commencer l’Iliade, on choisit un terme dont les deux premières lettres marquassent que ces deux poëmes contenaient 48 livres. Voilà qui sent les mystères de la cabale. Cet homme, qui était si grand ennemi des Juifs, ne donnait pas mal dans leurs rêveries, par rapport aux mystérieuses positions des lettres. Quoi qu’il en soit, écoutons ceux qui nous apprennent les faits que j’avance : Quærat aliquis quæ sint mentiti veteres magi, cùm adolescentibus nobis visus Apion grammaticæ artis, prodiderit cynocephaliam herbam que in Ægypto vocaretur Osyrites, divinam et contra omnia veneficia : sed, si tota erueretur, statìm eum qui eruisset, mori : seque evocâsse umbras ad percontandum Homerum quânam patriâ, quibusque parentibus genitus esset, non tamen ausus profiteri, quid sibi respondisse diceret [5]. Il paraît, par ce passage, qu’Apion s’était vanté lui-même, dans ses écrits, d’avoir employé la magie pour s’aboucher avec Homère, et qu’il faisait le mystérieux sur les réponses qu’on avait faites à ses demandes. Cela sent fort le charlatan. Pline fait assez entendre le jugement qu’il faisait du personnage. Sénèque ne l’estimait pas beaucoup. Apion grammaticus, dit-il [6], qui sub C. Cæsare totâ circumlatus est [7] Græciâ, et in nomen Homeri ab omnibus civitatibus adoptatus, aïebat, Homerum utrâque materiâ consummatâ, et Odysseâ et Iliade, principium adjecisse operi suo quo bellum Trojanum complexus est. Hujus rei argumentum afferebat, quòd duas litteras [8] in primo versu posuisset ex industriâ librorum suorum numerum continentes [9]. Nous apprenons par ces paroles que ce grammairien en donnait bien à garder à la Grèce, puisqu’on l’y recevait, dans toutes les villes, comme un second Homère, comme un Homère ressuscité. Un homme qui a du savoir, et outre cela de l’impudence et du faste, trompe bien des gens par son babil.

(E) Il accusa les Juifs devant Caligula de ne vouloir pas lui consacrer des images. ] Ce fut la principale accusation. Josephe, dans l’endroit que le continuateur de Moréri a cité, le raconte nettement : et comme c’étaient les Juifs d’Alexandrie qu’Apion avait ordre d’accuser, il est manifeste qu’il ne s’agissait pas de ce que les Juifs de Jérusalem faisaient, ou ne faisaient point. Cependant, si l’on en

  1. Jul. African., apud Euseb. Præpar. Evangel., lib. X, cap. X.
  2. Tillemont, Hist. des Empereurs, tom. I, pag. 776.
  3. Amm. Marcellin, lib. XXII, cap. ult., pag. 344.
  4. Seneca, Epistol., LXXXVIII, pag. 361.
  5. Plinius, lib. XXX, cap. II, sub finem.
  6. Seneca, Epistolâ LXXXVIII, pag. 361.
  7. Le manuscrit de Lipse, sur ces paroles de Sénèque, approuve cette leçon, et prétend qu’Apion était un charlatan et un saltimbanque, Agyrta fuit et circulator.
  8. Le premier mot de l’Iliade est μηνῖν. La lettre μ vaut 40, l’η vaut 8.
  9. Confer quæ Plutarch. Sympos., lib. IX, cap. III, pag. 739.