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APION.

d’avoir abjuré sa patrie pour se dire Alexandrin [1]. Cette accusation de Josephe ne vaudrait rien, quand même il ne l’aurait pas exagérée et répandue dans un grand amas de paroles ; car Apion, en se disant Alexandrin depuis l’acquisition de la bourgeoisie d’Alexandrie, n’avait rien fait que plusieurs célèbres professeurs n’eussent déjà pratiqué. Le surnom de Plistonices, qu’on lui affecte [2], était d’une signification tout-à-fait avantageuse [3] ; mais on ne sait pas la raison pourquoi on le surnommait ainsi. Suidas le fait fils d’un homme qui s’appelait Plistonices, Ἀπίων, ὁ Πλειςονίκου. Sur ce pied-là, le surnom n’aurait rien dit à sa louange. D’autres disent que son père s’appelait Posidonius, Ἀπίων, ὁ Ποσειδωνίου [4]. Il ne serait pas impossible que les copistes eussent changé Πλειςονίκου en Ποσειδωνίου.

(B) On ne peut nier qu’il ne fût savant. ] Tatien le traite d’homme très-renommé, ἀνὴρ δοκιμώτατος [5]. Aulu-Gelle en parle de cette manière : Litteris homo multis præditus, rerumque græcarum plurima atque varia scientia fuit : ejus libri non incelebres feruntur, quibus omnium fermè quæ mirifica in Ægypto visuntur audiunturque historia comprehenditur [6]. Voilà qui regarde sa littérature, et voici de quoi connaître son caquet et sa hardiesse : Facili atque alacri facundiâ fuit [7]. Mais n’empiétons pas sur la remarque suivante.

(C) Il avait tout l’orgueil d’un franc pédant. ] Aulu-Gelle nous en dit assez pour nous le faire concevoir sous l’idée d’un fanfaron : In his quæ audivisse vel legisse sese dicit, fortassè à vitio studioque ostentationis fit loquacior. Est enim sanè quàm in prædicandis doctrinis suis venditator [8]. Apion se vanta, avec la dernière effronterie, de donner l’immortalité à ceux à qui il dédiait ses ouvrages. Jamais prédiction ou promesse n’a été plus fausse. Aucun de ses livres n’a pu résister aux injures du temps ; et si d’autres auteurs ne nous eussent appris qui il était, nous ignorerions aujourd’hui et son nom, et sa personne : il n’a donc rien fait en faveur de ceux qu’il mettait à la tête de ses ouvrages. Rapportons le passage de Pline en son entier : Apion quidam grammaticus, hic quem Tiberius Cæsar cymbalum mundi vocabat, quùm publicæ famæ tympanum potiùs videri posset, immortalitate donari à se scripsit, ad quos aliqua componebat [9]. M. de Tillemont avoue qu’il n’entend pas ce que Pline dit de notre Apion en cet endroit-là [10]. J’aime mieux avouer la même chose que d’adopter l’interprétation que j’ai lue dans le Supplément de Moréri. Il se vantait, voilà les paroles du Supplément, d’immortaliser ceux à qui il dédiait quelqu’un de ses ouvrages. C’est pourquoi l’empereur Tibère l’appela la cymbale du monde : sur quoi Pline dit qu’il fallait plutôt l’appeler le tambour du monde, parce qu’il ne rendait qu’un son désagréable. Mais, premièrement, il n’est pas vrai que Pline rapporte que parce qu’Apion faisait tant de cas de ses épîtres dédicatoires, cet empereur le nomma Cymbalum mundi. En second lieu, Pline ne dit pas qu’il le fallait appeler plutôt tambour du monde : il se sert de la phrase publicæ famæ tympanum, qui a une force particulière pour représenter cet homme comme une espèce de crieur public, qui, au son du tambour ou à son de trompe, fait savoir à tous les habitans d’une ville ce qu’on souhaite que personne n’ignore. En troisième lieu, Pline ne dit point qu’à cause qu’Apion ne rendait qu’un son désagréable, il valait mieux l’appeler tympanum que cymbalum. Qui a dit au continuateur de Moréri que la cymbale soit plus agréable que le tambour ?

(D) Il s’amusait trop à des ques-

  1. Joseph., contra Apionem, lib. II.
  2. Plinius, lib. XXXVII, cap. V ; Aul. Gellus, lib. V, cap. XIV, et lib. VI, cap. VII.
  3. Ἀπίων ὁ γραμματικὸς ὁ πλειςονίκης ἐπικληθεὶς. Apion grammaticus, qui πλειςονίκης id est, sæpè victor est cognominatus. Clemens Alexandr. Strom., lib. I, pag. 320.
  4. Jul. Africanus, apud Euseb. Præparat. Evangel., lib. X, cap. X, pag. 490. Justin. Admonit. ad Græcos, pag. 9.
  5. Tatianus, apud Eusebium, Præpar., lib. X, cap. XI, pag. 493, D.
  6. Aul. Gellius, lib. V, cap. XIV.
  7. Idem, lib. VI, cap. VII.
  8. Idem, lib. V, cap. XIV.
  9. Plinius, in Præfatione Natur. Hist.
  10. Tillem., Histoire des Empereurs, tom. I, pag. 776.