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APOLLONIUS.

Apollonius comme un Dieu, quoiqu’on prétende que les Éphésiens révéraient encore sa statue, mais sous le nom d’Hercule, et non sous le sien, parce qu’il était constant que ce n’était qu’un homme et qu’un imposteur. Eusèbe assure aussi que [presque] personne ne connaissait plus alors Apollone, non comme un Dieu ou comme un homme extraordinaire et admirable, mais même comme un simple philosophe. M. de Tillemont cite le IIIe. chapitre du Ve. livre de Lactance, et le traité d’Eusèbe contre Hiéroclès, à la page 468. J’avoue que Lactance suppose que personne n’honorait Apollonius comme un Dieu : Cur igitur, demande-t-il, ô delirum caput, nemo Apollonium pro Deo colit ? nisi fortè tu solus illo scilicet Deo dignus cum quote in sempiternum verus Deus puniet ; mais il ne s’inscrit point en faux contre ce que l’auteur qu’il réfute avait avancé, que l’on honorait encore à Ephèse le simulacre consacré à Apollonius sous le nom d’Hercule : Simulacrum ejus sub Herculis Alexicaci nomine constitutum ab Ephesiis etiam nunc honorari [1]. Il se contente de se prévaloir de ce qu’Apollonius n’était point honoré sous son vrai nom, mais sous un nom emprunté : Ideò alieni nominis titulo affectavit divinitatem, quia suo nec poterat nec audebat. Cela est plus subtil que solide ; car quand les Éphésiens consacrèrent ce simulacre, ils n’eurent intention que d’honorer Apollonius, et ils ne se servirent du titre d’Hercule ἀποτρόπαιος, ou Alexicacus, que pour marquer qu’Apollonius les délivra de la peste. Il n’y eut apparemment nulle sorte d’artifice dans tout cela : Apollonius ne chercha point à se couvrir d’un autre nom par aucune crainte que le sien ne jetât quelque scrupule dans les esprits. Voilà donc un bon témoin produit par Lactance, touchant le culte que l’on rendait encore à notre Apollonius au commencement du quatrième siècle. Avec tout le respect dû à ce père de l’Église, je ne saurais me persuader que ceux de Tyane eussent discontinué leurs vénérations, ou qu’on eût ôté de tous les temples les images d’Apollonius [2]. Je trouve dans Eusèbe que, de son temps, on faisait courir le bruit que, par l’invocation du nom d’Apollonius, il se faisait bien des choses : Αὐτίκα τῶν νῦν εἰσιν, ὃι περιέργους μηχανὰς τῇ τοῦ ἀνδρὸς ἀνακειμένας προσηγορίᾳ κατειληϕέναι λέγουσι [3]. Neque verò hodiè quoque desunt qui expertos se dicant ejus nomini invocato magicas inesse virtutes ad superstitiosa quædam peragenda. Il les appelle magiques ou superstitieuses ; mais il ne faut point douter que plusieurs païens ne les prissent pour de bons miracles. Je trouve dans saint Augustin que, de son temps, on importunait de telle sorte les chrétiens par le chimérique parallèle des miracles d’Apollonius avec ceux de Jésus-Christ, et par la ridicule prétention que les premiers égalaient ou surpassaient les derniers, qu’on recourut à cette grande lumière de l’Église, pour avoir la réfutation de cette difficulté : Sed tamen etiam ego in hâc parte qui plurimis quicquid rescripseris, profuturum esse confido, precator accesserim ut ad ea vigilantius respondere digneris, in quibus nihil ampliùs Dominum quàm alii homines facere potuerunt, fecisse vel gessisse mentiuntur. Apollonium siquidem suum nobis et Apuleium aliosque magicæ artis homines in medium proferunt, quorum majora contendunt extitisse miracula [4]. Ce fut alors que saint Augustin déclara ce qu’on a lu dans l’article [5] ; c’est qu’Apollonius de Tyane valait beaucoup mieux que Jupiter : ce qui, pour le dire en passant, doit faire honte à je ne sais quels théologiens modernes qui ne sauraient souffrir que l’on regarde la privation de la connaissance de Dieu comme un moindre mal que le culte des gentils pour des dieux abominables, et pires, selon le sentiment de saint Augustin, que des magiciens : Quis autem vel risu dignum non putet, quòd Apollonium et Apuleium cæterosque magicarum artium peritissimos conferre Christo vel etiam præferre conantur, quanquàm tolerabilius ferendum sit quandò illos ei potiùs com-

  1. Lactant, divin. Institution., lib. V, cap. III, pag. 310.
  2. Voyez le passage de Vopiscus, dans la remarque précédente, citation (19).
  3. Euseb., in Hieroclem, pag. 541.
  4. Marcellin. ad Augustinum, Epist. III inter Augustini Epistolas.
  5. Citation (k).