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ANACRÉON.

être une loi de la nature ; car la nature n’oblige à rien d’impossible[1]. La beauté et la tendresse de conscience, jointes ensemble sous une pareille loi, seraient un poids qui ferait bientôt crever les plus vigoureux et les plus robustes. Il n’y aurait point de personnes aussi à plaindre que celles qui seraient belles et consciencieuses. Et notez que la doctrine de la communauté des femmes n’égale point l’abomination de celle-ci : elle n’ôte pas la liberté de refuser ; elle n’engage pas la conscience à tout acquiescement.

Peut-être ne me tromperai-je pas si je conjecture que les faiseurs de Catalogues d’Hérésies, les originaux de Pratéolus, ont forgé cette chimère en donnant un mauvais sens, ou par ignorance, ou par malice, à l’une des conséquences du dogme de l’égalité des conditions. Il est certain qu’au commencement les anabaptistes enseignaient cette égalité : d’où il s’ensuivait qu’une fille de bonne maison ne devait pas refuser les propositions de mariage avec un fils de paysan, et qu’un gentilhomme ne devait pas refuser les recherches d’une paysanne. Si nos faiseurs de Catalogues ont bâti sur ce fondement la doctrine absurde qu’ils ont imputée aux anabaptistes, sont-ils moins impertinens que ce dogme même ?

Je ne crois point non plus que ces sectaires aient regardé comme illégitime le mariage des autres chrétiens, et qu’ils aient confondu tous les bâtards avec les enfans des personnes mariées ; qu’ils aient cru, par exemple, que la naissance de Calvin n’était pas moins accompagnée de souillure que celle d’Érasme. Mais M. Moréri n’y regardait pas de si près ; et, pourvu qu’il pût diffamer les hérétiques, tout lui était bon [* 1].

  1. * Joly renvoie au Sorberiana « pour quelques traits assez curieux sur les anabaptistes du 17e. siècle. »
  1. Impossibili nemo tenetur.

ANACRÉON, poëte grec, natif de Téos, ville d’Ionie (A), florissait au temps que Polycrate régnait à Samos (B) et qu’Hipparchus jouissait à Athènes de la domination que son père Pisistrate y avait usurpée. C’est de quoi l’on ne peut douter lorsque l’on consulte les livres de Platon et ceux d’Hérodote ; car l’on y voit qu’Hipparchus fit venir Anacréon à Athènes [a] (C), et qu’Anacréon était dans la chambre de Polycrate durant l’audience qui fut donnée à un envoyé d’Orètes, gouverneur de Sardes [b] (D). Cambyse était alors roi de Perse : ce que je remarque, afin que tous mes lecteurs puissent se représenter avec plus de facilité le temps auquel Anacréon a vécu. Ce poëte avait l’esprit délicat, et il y a des grâces et des charmes inexprimables dans ses poésies ; mais il aimait trop les plaisirs : il était d’un tempérament si amoureux, qu’il lui fallait et des garçons et des filles (E) ; et d’ailleurs il aimait le vin. Ce dernier défaut se fit sans doute remarquer excessivement à Athènes, puisque la statue qu’on y voyait d’Anacréon le représentait comme un homme ivre qui chante [c]. Si nous avions tous ses poëmes, nous y verrions une infinité de traits de son humeur voluptueuse (F) : mais le peu qui nous en reste nous la fait assez connaître. On y trouve la passion dont il brûlait pour Bathyllus (G) ; et si, à cause que l’on n’attachait point alors à cette espèce d’amour une note d’infamie, comme on le fait en pays de chrétienté, il ne mérite pas toute l’horreur que l’on aurait d’un poëte chrétien en pareil cas, il faut que l’endurcissement de son

  1. Plato, in Hipparcho. Æliani Var. Hist. lib. VIII, cap. II.
  2. Herod., lib. III, cap. CXXI. Voyez aussi Pausanias, liv. I, pag. 2.
  3. Pausan, lib. I, pag. 23