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ANACRÉON.

siècle paie pour lui : je veux dire que l’indignation des lecteurs doit tomber sur ce temps-là, selon tout ce en quoi elle ne se décharge point sur chaque particulier. Les débauches d’Anacréon ne l’empêchèrent pas de vivre quatre-vingt-cinq ans, si nous en croyons Lucien, qui l’a mis au nombre des personnes de longue vie. On dit qu’il soutenait sa langueur dans cette grande vieillesse en mangeant des raisins séchés, et qu’un pepin qui s’arrêta à son gosier l’étrangla. Valère Maxime attribue une fin si douce à une faveur particulière des dieux (H). Personne, que je sache, n’a marqué le lieu ni le temps de sa mort (I), ni décidé comment s’appelait son père (K). On a plusieurs traductions de ses poésies (L) ; mais il y a des critiques qui ne croient pas que tous les vers qui courent aujourd’hui sous son nom soient de lui [a]. Ceux qui ont parlé de ses amours pour Sapho n’ont point consulté la chronologie, comme nous le ferons voir dans l’article de cette femme. On dit qu’un présent que Polycrate lui avait fait en argent l’embarrassa de telle sorte, qu’il fut quelques nuits sans pouvoir dormir, et qu’il alla le rendre à ce prince. Cela n’est guère vraisemblable, quoique Stobée nous en ait donné Aristote pour garant. Giraldi ne cite pour cela que les recueils grecs d’Arsémius [b].

  1. Tanaq. Fab. Not. in Anacr. Mademoiselle le Fèvre sa fille, n’est pas en cela toujours d’accord avec lui. Voyez sa préface sur Anacréon.
  2. Gyrald. Histor. Poët. Dialog. IX, pag. 471.

(A) Il était natif de Téos, ville d’Ionie. ] Je réfute, dans l’article Téos, ceux qui ont dit qu’Anacréon était de Téium sur le Pont-Euxin.

(B) Il florissait au temps que Polycrate régnait à Samos. ] Je n’ai point marqué d’olympiade, car, pour un homme qui a vécu quatre-vingt-cinq ans, il me semble que l’on ne doit point s’enfermer dans des bornes si étroites. Aussi voit-on que ceux qui le font s’éloignent beaucoup les uns des autres. Eusèbe [1], qui a choisi la 62e. olympiade, n’a pu empêcher que Suidas n’ait mieux aimé la 52e., et que M. le Fèvre de Saumur n’ait mieux aimé la 72e. [2]. Mais ne décidons rien sur Suidas : son texte est assurément corrompu ; et il n’est point pardonnable à ses traducteurs d’avoir laissé passer l’épouvantable bévue qui s’y trouve. On y lit qu’Anacréon à vécu du temps de Polycrate, tyran de Samos, dans la 52e. olympiade ; ou, selon d’autres, du temps de Cyrus et de Cambyse, dans l’olympiade 25e. Il paraît, par Hérodote, que Polycrate et Cambyse moururent environ en même temps [3]. Eusèbe les fait contemporains sous la 63e. olympiade, et il a raison : il n’est donc point vrai qu’il faille mettre entre eux deux 27 olympiades, ni faire remonter Cyrus de la 55e. olympiade, où l’on met ordinairement l’époque de la monarchie des Perses à la 25e. Vossius fait dire à Suidas qu’Anacréon a vécu dans la 61e. ou la 62e. olympiade [4] ; c’est ce qu’on ne trouve point dans le Suidas imprimé. Quant à M. le Fèvre, qui a choisi la 72e. olympiade pour le temps précis de la vie d’Anacréon, il est plus facile de ruiner ses preuves que de montrer que ce poëte n’a pas vécu en ce temps-là. M. le Fèvre raisonne ainsi : Anacréon vint à Athènes du temps d’Hipparchus : celui-ci avait un frère nommé Hippias, qui sollicita Darius, fils d’Hystaspes, d’entreprendre le voyage qu’il fit contre les Athéniens. Cela étant, dit-il, vous

  1. Calvisius lui fait dire qu’Anacréon a fleuri dans la 25e. olympiade. Je ne trouve point cela dans l’Eusèbe de Scaliger.
  2. Vies des Poëtes grecs.
  3. Herod., lib. III, cap. CXX, et seqq.
  4. Vossius de Poët. Græc., pag. 22. Hofman le copie ; mais Moréri, son autre copiste, a mis 60 au lieu de 61.