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ARCÉSILAS.

et l’habileté du docteur : Quis ista tam apertè perspicuèque et perversa et falsa sequutus esset, nisi tanta in Arcesilâ.... et copia rerum et dicendi vis fuisset [1] ?

(H) On dit qu’il ne faisait, le sceptique que pour éprouver ses écoliers. ] Sextus Empiricus, ayant dit qu’Arcésilas ne paraît point différer des pyrrhoniens, ajoute que, s’il fallait croire certains bruits, ce n’était qu’un pyrrhonien d’apparence, qui, dans le fond, suivait la méthode des dogmatiques. Les doutes qu’il proposait à ses auditeurs, afin de voir s’ils avaient assez de génie pour comprendre les dogmes de Platon, le firent regarder comme un philosophe qui n’affirmait rien ; mais il débitait affirmativement la doctrine platonique à ceux à qui il avait trouvé une grande force d’esprit [2]. Il est difficile de découvrir si ce conte est véritable. Voyez les Dissertations de M. Foucher sur la philosophie des académiciens [3], et la note de Thomas Aldobrandin que je vous indique [4].

(I) On raconte des choses bien singulières de sa libéralité. ] Il faisait du bien, et ne voulait pas qu’on le sût. Ἐυεργετῆσαι πρόχειρος, καὶ λαθεῖν τὴν χάριν ἀτυϕότατος [5]. Erat ad ferenda beneficia promptus ; latere quoque gratiam omni studio quærebat, fastum ejusmodi maximè exhorrens. C’était pratiquer l’Évangile avant qu’il eût été annoncé. Ayant fait une visite à Ctésibius, qui était malade et qui manquait du nécessaire, il lui glissa adroitement sous l’oreiller une bourse pleine d’argent [6]. Sénèque nous le va dire : Arcesilaüs, ut aïunt, amico pauperi, et paupertatem suam dissimulanti, ægro autem, et ne hoc quidem confitenti deesse sibi in sumptum ad necessarios usus, cùm clàm succurrendum judicâsset, pulvino ejus ignorantis sacculum subjecit, ut homo inutiliter verecundus, quod desiderabat, inveniret potiùs quam acciperet [7]. Plutarque raconte plus amplement le même fait ; mais il suppose que le malade n’était point Ctésibius : il le nomme Apelle de Chio [8]. Ajoutons qu’Arcésilas ayant prêté de la vaisselle d’argent à un ami qui devait donner un festin, ne la redemanda point. Il supposa qu’il l’avait donnée, et non pas prêtée. Quelques-uns disent que, considérant les besoins de cet ami, il ne voulut pas la reprendre, lorsqu’on la lui reporta [9].

(K) Le témoignage qui lui fut rendu par... Cléanthe, touchant l’opposition entre ses dogmes et sa pratique, etc., sont des choses très-curieuses. ] Dès qu’on assure qu’il n’y a rien de certain, et que tout est incompréhensible, on déclare qu’il n’est pas certain qu’il y ait des vices et des vertus. Or, un tel dogme paraît très-propre à inspirer l’indifférence pour le bien honnête, et pour les devoirs de la vie. C’est pourquoi les adversaires d’Arcésilas le censurèrent de négliger ses devoirs. Ils prétendirent qu’il vivait selon ses principes. Mais Cléanthe, quoique d’une secte fort contraire à ce philosophe, prit son parti. Taisez vous, dit-il à quelqu’un de ses critiques, ne blâmez point Arcésilas : il renverse les devoirs par ses paroles ; mais il les établit par ses actions : Παῦσαι, ἔϕη, καὶ μὴ ψέγε, εἰ γὰρ καὶ λόγῳ τὸ καθῆκον ἀναιρεῖ, τοῖς γοῦν ἔργοις αὐτὸ τιθεῖ [10]. Quiesce, inquit, neque vituperes : ille enim, etsi verbis officium tollit, operibus tamen id ponit. Arcésilas lui répondit qu’il n’aimait point à être flatté : Est-ce vous flatter, répliqua Cléanthe, que de soutenir que vous dites une chose, et que vous en faites une autre [11] ? Il y a beaucoup d’esprit dans la repartie. Ce fut apparemment une allusion aux vers d’Homère qui portent que ces fourbes et ces hypocrites, dont les pensées sont contraires aux paroles, méritent d’être détestés comme l’enfer [12]. Cependant Cléan-

  1. Cicero, Academ. Quæstion., lib. II, cap. XVIII, fin.
  2. Sextus Empiricus, Pyrrhon. Hypotypos. lib. I, cap. XXXIII.
  3. Foucher, liv. I, pag. 32 et liv. III, pag. 154, et suiv.
  4. Th. Aldobrand., in Diogen. Laërtium, lib. IV, num. 28.
  5. Diog. Laërtius, lib. IV, num. 37.
  6. Idem, ibid.
  7. Seneca, de Benef., lib. II, cap. X, pag. 25.
  8. Plut., de Discrim. amici et adulator., pag. 63.
  9. Diog. Laërtus, lib. IV, num. 38.
  10. Diog. Laërtius, in Cleanthe, lib. VII, num 171.
  11. Idem, ibid.
  12. Homerus, Iliad., lib. IX, vs. 312.