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ARCHÉLAÜS.

the louait dans le fond la bonne vie d’Arcésilas. Notez que dans la doctrine des plus grands pyrrhoniens il y avait une théorie favorable à la vertu ; car, quelle que fût selon eux l’essence même des choses, ils enseignaient que, pour la pratique de la vie, il fallait se conformer aux apparences. Quoi qu’il en soit, le vrai principe de nos mœurs est si peu dans les jugemens spéculatifs que nous formons sur la nature des choses, qu’il n’est rien de plus ordinaire que des chrétiens orthodoxes qui vivent mal, et que des libertins d’esprit qui vivent bien.

(L) Il suivit le penchant de la nature... jusqu’à des excès honteux. ] Les bonnes qualités que j’ai rapportées dans le corps de cet article, et dans la remarque précédente, se trouvèrent réunies en sa personne avec l’impudicité la plus criminelle ; tant il est vrai que les vices et les vertus savent l’art de s’allier. Il entrait à la vue de tout le monde chez Theodota et chez Phileta, deux femmes publiques : Καὶ Θεοδότῃ τε καὶ Φιλαίτῃ Ἠλιαίαις, ἐταίραις συνῴκει ϕανερῶς [1]. Theodotæ item ac Philetæ, Eliensibus scortis, palàm congrediebatur. Le pis fut qu’il s’adonna au péché contre nature : Φιλομειράκιός τε ἦν καὶ καταϕερής. ὅθεν οἱ περὶ Ἀρίςωνα τὸν Χῖον Στωϊκοὶ ἐπεκάλουν αὐτὸν ϕθορέα τῶν νέων, καὶ κιναιδολόγον καὶ θρασὺν ἀποκαλοῦντες [2]. Adolescentibus item maximè studebat, eratque in amorem pronus. Undè illum Aristo Chius, stoïcus, corruptorem juvenum, disertumque impudicum, et temerarium appellabat.

(M) Il s’est vanté d’une grande force de courage pendant les douleurs de la goutte. ] « Rien n’est passé de là ici, » dit-il en montrant ses pieds et sa poitrine à Carnéades l’épicurien, qui s’affligeait de le voir si tourmenté : Is quùm arderet podagræ doloribus, visitassetque hominem Carneades epicuri perfamiliaris, et tristis exiret : « Mane quæso, inquit, Carneade noster, nihil illinc huc pervenit, ostendens pedes et pectus [3]. » C’était parler en stoïcien, quoiqu’Arcésilas fût l’antagoniste du fondateur des stoïciens.

(N) Diogène Laërce ne lui donne point Bion pour successeur. Le père Rapin s’est imaginé cela sans nul fondement. ] Voici ses paroles : « Cicéron, qui connaissait fort bien les successeurs de Platon, ne dit rien de ce Bion, que Diogène donne pour successeur à Arcésilas, et qui se rendit si célèbre par la véhémence de ses satires, au sentiment d’Horace [4]. » Tout le fondement du père Rapin consiste en ce que la vie de Bion suit immédiatement celle d’Arcésilas dans l’ouvrage de Diogène Laërce. Cette raison est nulle, puisque l’auteur dit expressément que Lacydes fut le successeur d’Arcésilas [5] ; et que Bion, étant même auditeur de Cratès, méprisa les sentimens de l’académie, et qu’ensuite il embrassa d’autres partis [6].

(O) J’ai trouvé à son sujet une faute très-grossière dans Sidonius Apollinaris. ] Il prétend que selon Arcésilas, antérieur à Socrate, Dieu est la cause efficiente de l’univers, et que les atomes en sont la matière :

Post hos Arcesilas divinâ mente patratam
Conjicit hanc molem, confectam partibus ellis
Quas atomos vocat ipse leves. Socratica post hunc
Secta micat, quæ de naturæ pondere migrans
Ad mores hominum limandos transtulit usum [7].


Savaron, sans dire rien de cette bévue de chronologie, s’est contenté d’observer que tout le monde attribue à Épicure et à Démocrite le dogme que Sidomus Apollinaris attribue à Arcésilas [8]. Cette observation est mauvaise ; car personne n’a prétendu que Démocrite et Épicure ont enseigné que univers était l’ouvrage de Dieu.

  1. Diog. Laërtus, lib. IV, num. 40.
  2. Idem, ibid.
  3. Cicero, de Finibus, lib. V, cap. XXXI, in fine.
  4. Rapin, Compar. de Platon et d’Aristote IVe. part., chap. I, pag. 369.
  5. Diog. Laërtius, lib. IV, num. 59, in Lacyde, initio.
  6. Idem, ibid., num. 51, 52, in Bione.
  7. Sidon. Apollinaris, carm. XV, vs. 94, pag. 152.
  8. Savaro, in hunc locum Sidonii Apollinar.

ARCHÉLAÜS. Diogène Laërce parle de quatre personnes qui