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ARCHÉLAÜS.

ce philosophe vécut jusqu’à la 93e. olympiade. Or, c’est une grande erreur. Il m’est fort suspect d’anachronisme, en ce qu’il pose la chute de cette pierre sous la 93e. olympiade. Pline, Eusèbe, et les Marbres d’Arundel réfutent cela. Ils placent cet événement sous la 78e. [1].

Voilà l’état pitoyable où les anciens, que l’on vante tant, ont laissé l’histoire des philosophes. Mille contradictions partout, mille faits incompatibles, mille fausses dates. Notez que je n’ai vu aucun moderne qui réfute ceux qui mettent la mort d’Anaxagoras dans la 78e. olympiade [2] ; qui les réfute, dis-je, par Diodore de Sicile et par Plutarque, qui assurent que ce philosophe fut accusé un peu avant la première année de la guerre du Péloponnèse [3].

(B) Il enseigna que les animaux, sans en excepter les hommes, furent produits d’une matière terrestre, chaude et humide. ] Ce qui nous reste de ses sentimens, dans les auteurs qui les rapportent, est si concis qu’on a de la peine à s’en former une idée bien distincte : Γεννᾶσθαι δέ ϕησι τὰ ζῶα ἐκ ϑερμῆς τῆς γής, καὶ ἰλὺν παραπλησίαν γάλακτι, οἷον τροϕὴν, ἀνἰείσης. Οὓτω δὲ καὶ τοὺς ἀνθρώπους ποιῆσαι [4]. Gigni verò animalia ex terræ calore, quæ limum lacti simillimum velut escam eliquaverit. Sic et homines natos. C’est ainsi que Diogènc Laërce s’est exprimé. Il venait de dire que, selon ce philosophe, les deux causes des générations étaient la chaleur et l’humidité [5]. Il venait aussi de rapporter comment l’eau, l’air, la terre, le feu, étaient sortis de ces deux principes ; mais j’avoue que ne comprenant quoi que ce soit dans ses paroles, je ne veux point prendre la peine de les copier. M. Ménage, qui les a insérées dans son Commentaire, sans y joindre aucune note, ignorait apparemment quelle en est la signification. Les autres commentateurs n’ont pas été plus heureux. Ils les ont abandonnées à leur obscurité : faisons-en autant, et recourons à Plutarque, qui a dit que, selon Archélaüs, l’air infini, la condensation et la raréfaction de l’air, l’une le feu, l’autre l’eau, étaient les principes de toutes choses [6]. Justin Martyr lui attribue la même opinion à peu près [7]. Cela signifie, ce me semble, qu’il admettait l’air pour la matière première, et le feu et l’eau pour les élémens : mais ce n’était point son opinion, si l’on en croit saint Augustin ; car ce père lui attribue le dogme d’Anaxagoras touchant les homœoméries, et touchant l’intelligence qui les avait assemblées : Anaxagoræ successit auditor ejus Archelaüs : etiam ipse de particulis inter se dissimilibus, quibus singula quæque fierent ità omnia constare putavit, ul inesse etiam mentem diceret quæ corpora dissimilia, id est illas particulas conjungendo et dissipando ageret omnia [8]. Je crois que saint Augustin a raison ; car Simplicius observe qu’Archelaüs, tâchant d’apporter quelque explication qui lui fût particulière, ne laisse pas de donner les mêmes principes qu’Anaxagoras, savoir une infinité de particules semblables [9]. Il y a beaucoup d’apparence qu’à l’égard de la première formation des animaux, ils suivirent la même hypothèse. Nous avons vu quel était le sentiment d’Archélaüs, et voici le dogme d’Anaxagoras : ζῶα γενέσθαι ἐξ ὑγροῦ καὶ ϑερμοῦ καὶ γεώδους· ὓςερον δὲ ἐξ ἀλλήλων [10]. Animantes primo ex humore et calore, terrâque manâsse, posteà ex invicem natos esse. Puisqu’ils admettaient une intelligence qui tira les homœoméries de la confusion où elles étaient, à faut croire qu’ils la firent présider à la production des animaux ; car s’il

  1. Pline, à l’an 2 : Voyez ci-dessus la citation (138) de l’article d’Anaxagoras ; Eusèbe, à l’an 4 ; les Marbres d’Arundel, à l’an 1. Voyez Hardouin sur Pline, tom. I, pag. 275.
  2. Diog. Laërce, liv. II, num. 7, le fait. Eusèbe la met à l’an 4 de la 79e. olympiade.
  3. C’est-à-dire, l’an 2 de la 87e. Olympiade.
  4. Diog. Laërtius, lib. II, p. 90, num. 17.
  5. Au lieu de ψυχρὸν frigidum, il faut lire ὑγρὸν, humidum. Voyez M. Ménage sur cet endroit. Mais notez qu’Hermias, in Philosophorum Derisione, pag. 157, assure qu’Archélaüs donnait pour les principes de toutes choses θερμὸν καὶ ψυχρὸν, le chaud et le froid.
  6. Plutarch., de Placit. Philos., lib. I, cap. III, pag. 876.
  7. Just. Martyr. Admonit, ad Græcos, pag. 4.
  8. August., de Civitate Dei, lib. VIII, cap. II. Voyez aussi Clement Alexandr., in Protr., pag. 43.
  9. Simpl., in Ium. librum Physic. Aristot.
  10. Diog. Laërt., lib. II, p. 85, num. 9.