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ARCHÉLAÜS.

y a quelque créature dont la formation ait besoin d’être dirigée par un esprit, c’est assurément la machine des animaux. S’ils ont fait ce que je suppose, ils n’ont rien dit là-dessus que l’on ne puisse concilier avec l’Écriture Sainte ; mais s’ils ont cru, comme tant d’autres, qu’au commencement les hommes sont nés de la terre, par la seule force de l’humidité et de la chaleur, etc., ils ont dit une sottise la plus ridicule du monde, et ils n’auraient su se tirer de la question pourquoi, dans la suite des temps, on n’a jamais vu naître des hommes de cette manière. Cette question ne les aurait pas embarrassés dans l’autre cas, puisqu’ils auraient pu répondre, comme feraient les chrétiens, que l’intelligence ayant une fois formé des animaux doués des moules ou des parties nécessaires à la propagation, n’en produisait plus elle-même, la conservation des espèces étant assez en sûreté par l’inclination à s’accoupler qui est dans les mâles et dans les femelles.

(C) Voici quelque chose touchant un poëte qui se nommait Archélaüs. ] Il fit un ouvrage sur la nature particulière des choses, c’est-à-dire, sur leurs singularités, ou sur les propriétés qui les distinguent. Ce que l’on en cite ne nous permet pas de douter que ce ne fût là le vrai caractère de cet écrit. Diogène Laërce l’a désigné par ces paroles : ὁ τὰ ἰδιοϕυῆ ποιήσας [1] qui quæ cuique rei naturâ sunt propria versu prodidit. Casaubon ne devait pas censurer cette traduction latine, sous prétexte que, selon le témoignage d’Antigonus Carystius, ce livre d’Archélaüs était un recueil d’épigrammes où l’on rapportait les qualités extraordinaires et merveilleuses des choses : Τὰ παράδοξα, τὰ θαυμάσια [2] ; car cela peut convenir au titre rapporté par Diogène Laërce : et, en tout cas, le traducteur n’a point dû donner à ce titre une signification moins générale que celle du terme grec. Vossius n’était point du goût de Casaubon, puisqu’il a traduit les paroles de Diogène Laërce par qui carmen fecit de propriâ cujusque rei naturâ [3]. Le sens qu’il donne à ces paroles me paraît fort juste : il entend par-là qu’Archélaüs avait recherché les choses dont la nature était singulière : quæ propriæ ac singularis naturæ sunt, comme que les chèvres ne sont jamais sans fièvre, et qu’elles respirent par les oreilles, et non par les narines : Auribus capras spirare, non naribus, nec unquàm febri carere, Archelaus auctor est [4]. Athénée a cité un Archélaüs ἐν τοῖς ἰδιοϕυέσσιν, et lui a donné le surnom de Chersonésien [5]. Dalechamp a traduit très-mal ce grec par suâ propriâque stirpe genitis [6] ; et je m’étonne que Vossius n’ait pas employé pour cet endroit-là les mêmes paroles qu’à l’égard de Diogène Laërce : il s’est servi de celles-ci de proprietate naturæ [7] : et néanmoins il estime qu’Athénée et Diogène Laërce ont parlé du même auteur. Cela est fort apparent, quoique Antigonus Carystius donne l’Égypte pour patrie à Archélaüs, qui composa des épigrammes sur les singularités merveilleuses de certaines choses, et qui les adressa à Ptolomée. Il est fort possible qu’un Archélaüs, natif de la Chersonèse, ait passé pour Égyptien : il suffit pour cela qu’il ait fait un long séjour en Égypte [8]. M. Ménage, qui prétend qu’au lieu d’ἰδιοϕυῆ, il faut lire dans Diogène Laërce διϕυῆ [9], ne me semble point avoir raison. Il se fonde sur ce que le scoliaste de Nicauder cite Archélaüs ἐν τοῖς Διϕυέσι, c’est-à-dire, in libro de iis qui sunt ancipitis naturæ. Ce fondement n’est point solide ; car comme l’ouvrage d’Archélaüs n’était point borné à cette sorte de singularités qui distinguent les animaux amphibies, ou les animaux qui naissent de l’accouplement d’un mâle et d’une fe-

  1. Diog. Laërt., lib. II, num. 17, p. 90.
  2. Casaub., in Diogen. Laërt., lib. II, num. 17.
  3. Vossius, de Historicis græcis, lib. III, pag. 329.
  4. Plin., lib. VIII, cap. L.
  5. Athen., lib. IX, cap. ult., pag. 409.
  6. Dalechamp, Annotat., in Athen., pag. 766. Le père Hardouin, dans son Index Autor. Plinii, pag. 97, traduit les paroles d’Athénée par de rebus quæ singulis in locis propria gignuntur.
  7. Vossius, de Historicis græcis, lib. III, pag. 319.
  8. On a des exemples de pareilles choses. Voyez Strabon, liv. XIV, pag. 451.
  9. Menag., in Diogen. Laërt., lib. II, num. 17.