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ARCHÉLAÜS.

l’on comprend facilement que les copistes l’ont sautée, et que les lecteurs n’ont point senti qu’il manquait là quelque chose, la plupart des gens ne lisent que pour s’instruire sans se fatiguer : c’est pourquoi ils ne s’aperçoivent guère des fautes de raisonnement, lorsqu’elles demandent quelque attention, ou quelque retour sur ce qui précède. En tout cas, ils se contentent de dire, ceci est obscur, cela me passe ; mais il n’arrive de là aucun remède ; la faute demeure toujours où elle était. Les critiques, et principalement les critiques traducteurs, n’en usent pas de la sorte, ils s’aperçoivent des fautes de sens et ils en cherchent la correction : ils comparent ensemble des manuscrits, ils font valoir les conjectures de leur génie. Mais dans cet endroit d’Athénée, comme Casaubon le leur reproche, leur goût fut fort émoussé.

Le grand Scaliger nous sera ici une preuve que les lumières des plus savans personnages sont quelquefois très-bornées. Il n’a point connu l’erreur visible de l’auteur qu’il commentait et qu’il critiquait, et il a pris cette erreur pour le fondement d’une censure contre Diodore de Sicile, à qui il impute des paroles qui ne se trouvent que dans Athénée. Développons cela. Eusèbe a rangé trois choses sous la première année de la 87e. olympiade : la mort de Perdiccas, le commencement du règne d’Archélaüs, et le commencement de la guerre du Péloponnèse. Scaliger lui passe cela, et se contente d’observer qu’on met ordinairement la première année de cette guerre sous la seconde année de l’olympiade 87, parce que la rupture s’étant faite vers la fin de l’archontat de Pythodore, l’on a cru qu’il fallait dater de l’archontat d’Euthydème [1], successeur de Pythodore [2]. Suivant cet usage, il avoue que l’an mortuaire de Périclès est le 4 de l’olympiade 87, et le 3 de la guerre du Péloponnèse ; et il cite un passage grec, qui porte qu’en la même année que Périclès décéda, Perdiccas roi de Macédoine mourut, et Archélaüs monta sur le trône. Il attribue ce passage à Diodore de Sicile ; et, sur ce pied-là, il le censure d’un anachronisme de trois ans. C’est qu’il suppose qu’Eusèbe ne s’est point trompé, ni quant à la mort de Perdiccas, ni quant au couronnement d’Archélaüs. Il n’a donc point su que Thucydide à marqué expressément que le roi Perdiccas était en vie l’an 16 de la guerre du Péloponnèse [3]. Mais, de plus, il a ignoré que les paroles qu’il attribue à Diodore de Sicile, sont d’Athénée : il a ignoré que ces paroles d’Athénée sont corrompues ; il ne s’est point aperçu qu’elles sont tronquées, et qu’il les fallait rétablir de la manière que Casaubon les a rétablies. Notez que Saumaise adopte comme une bonne chronologie celle qui met la mort de Perdiccas, et le commencement du règne d’Archélaüs, à l’an 4 de la 87e. olympiade [4] : il ignorait donc certaines choses que Casaubon lui eût pu fournir ; mais notez encore plus soigneusement qu’on peut éluder, ou même bien réfuter, par une interprétation favorable, l’un des points de ma critique de Scaliger. J’ai dit qu’il a censuré Diodore de Sicile, et je me suis fondé sur ces paroles : Diodoro ergò prochronismus fuerit triennii [5]. Elles sont à la suite du passage grec, faussement attribué par Scaliger à cet auteur, et où l’on trouve que Perdiccas étant mort la troisième année de la guerre du Péloponnèse, Archélaüs lui succéda. Or parce qu’Eusèbe assure qu’Archélaüs monta sur le trône la première année de la guerre du Péloponnèse, l’on peut prétendre que Scaliger n’a voulu dire autre chose, sinon que la doctrine d’Eusèbe contient un anachronisme d’anticipation de trois années, selon Diodore de Sicile. Si c’est son vrai sens, il n’a point blâmé ce dernier historien ; il s’est contenté de se tenir dans la suspension, ne décidant rien, ni pour lui, ni pour Eusèbe. Je serai ravi que l’on prenne garde à cette espèce de rétractation. Un critique, qui se prévaut d’une expression équivoque, ne doit point omettre le sens favorable. Il montre par ce

  1. Il appartient à la 2e. année de l’olympiade LXXXVII.
  2. Scaliger, Animadv. in Eusebium, num. 1585, pag. 106.
  3. Thucydides, lib. VI, pag. 341.
  4. Salmasius, Exercitat. Plin., pag. 156, 157.
  5. Scaliger, Animadv. in Eusebium, num. 1585, pag. 106.