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ARCHILOCHUS.

autrefois de brûler une tour de bois qu’un des lieutenans de Mithridate défendait, et qu’il n’en put jamais venir à bout, parce qu’elle était enduite d’une certaine drogue dont le nom n’est pas venu jusqu’à nous, qui avait la vertu de réprimer l’activité du feu [1]. » Deux choses m’étonnent : l’une, que puisque Quadrigarius a parlé d’un accident si peu ordinaire, tous les autres historiens n’en aient pas fait mention ; l’autre, que puisque tant d’historiens n’en ont dit mot, Quadrigarius en ait parlé d’une manière si précise. Ces sortes de faits frappent de telle manière les esprits, que la tour de bois incombustible eût été la dernière chose que les relations auraient omise. Sylla l’eût infailliblement insérée dans ses mémoires. Plutarque, qui les cite si souvent [2], l’y aurait vue, et n’aurait eu garde de s’en taire. Concluons de son silence, et de celui de tant d’autres historiens, que le fait est faux. Mais d’où est-ce que Quadrigarius l’avait pris ? Je crois qu’il n’est pas possible de déterrer l’origine de son erreur. Il est bien vrai que l’alun de plume résiste au feu, et ne se consume point ; mais en frotter une tour de bois et la rendre incombustible par ce moyen, est une chose que je crois impraticable.

  1. Journ. des Savans, du 15 février 1677, pag. 54.
  2. Plutarch., in Vitâ Syllæ.

ARCHILOCHUS, poëte grec, natif de l’île de Paros [a], fils de Télésiclès (A), a fleuri dans l’olympiade 29 (B). Le caractère de ses poésies a été un débordement de médisances tout-à-fait extraordinaire (C). On en vit des effets terribles, lorsque Lycambe se rendit, après la satire violente qu’Archilochus avait faite contre lui. L’indignation de ce poëte venait de ce qu’on lui avait manqué de parole. Lycambe lui avait promis sa fille, et puis la lui avait refusée. Archilochus prit la chose si à cœur, soit qu’il aimât la belle, soit qu’on eût ajouté au refus quelque mépris particulier, qu’il rassembla tous les torrens de sa bile, afin de diffamer Lycambe. Il y a de l’apparence qu’il enveloppa toute la famille sous ses pasquinades ; car on prétend que la fille suivit l’exemple du père, et il y en a même qui veulent que trois filles de Lycambe soient mortes de désespoir en même temps (D). Il releva peut-être des aventures également diffamantes et éloignées de la connaissance du public. Il semble du moins qu’il avait des endroits fort sales dans ce poëme ; car ce fut à l’occasion de cette satire, que ceux de Lacédémone jetèrent un interdit sur les vers d’Archilochus (E), après avoir considéré qu’une lecture comme celle-là était peu conforme à la pudeur. Quelques-uns ont dit qu’il fut lui-même banni de Lacédémone [b] ; mais ils en donnent pour raison la maxime qu’il avait insérée dans ses vers, qu’il vaut mieux jeter bas les armes, que perdre la vie. Il avait écrit cela pour sa justification [c]. Sa médisance, qui le mit quelquefois assez mal dans ses affaires (E), et qu’il étendit jusqu’à sa propre personne (G), ne lui ôta point les bonnes grâces d’Apollon ; car lorsqu’il eut été tué dans un combat, l’oracle de Delphes chassa du temple le meurtrier (H), et ne se laissa radoucir qu’à force d’excuses et de prières : et après cela même, il lui ordonna d’aller dans une

  1. Herod., lib. I, cap. XII. Lucianus, in Pseudol.
  2. Plutar. Instit. Lacon, pag. 239.
  3. Voyez la remarque (C).