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ARCHÉLAÜS.

de toutes les causes entreprises par Tibère, lorsqu’il fit, si j’ose parler ainsi, ses premières campagnes de robe longue : civilium officiorum rudimenta. Torrentius croit, tout comme Riccioli, que Suétone a voulu parler du grand procès d’Archélaüs fils d’Hérode, et il nous renvoie à Josèphe [1]. Comment n’a-t-on point vu que Josèphe n’eût point ignoré ce bon office de Tibère, et qu’il en aurait parlé, s’il l’avait su ? J’ai été surpris que le père Noris, qui fait de si fréquentes et de si vigoureuses sorties sur le jésuite Salian, l’ait épargné en cette rencontre. Ce jésuite est tombé dans la même faute que Riccioli : il a censuré Casaubon d’avoir appliqué [2] le passage de Suétone à Archélaüs, roi de Cappadoce : il lui a représenté que la cause de ce prince fut agitée sous l’empire de Tibère ; il a soutenu qu’il faut donc entendre ici Archélaüs fils d’Hérode ; et il a prouvé, par cette supposition, que Jésus-Christ demeura deux ans en Égypte : car, dit-il, Tibère n’était pas encore retourné à Rome l’an 2 de Jésus-Christ : il était pourtant à Rome lorsque Archélaüs disputa avec ses frères sur la succession d’Hérode, puisqu’il l’honora de sa protection [3]. Voilà comment on entasse faute sur faute, dès qu’on pose mal son fondement. Il est clair comme le jour que le roi de Cappadoce eut un procès devant Auguste, avant que Tibère se retirât dans l’île de Rhodes [4].

(P) Le continuateur de Moréri fait à l’occasion d’Archelaüs une faute énorme. ] Il dit que Scylla (c’est son orthographe), après avoir pris la ville d’Athènes, tua lui-même Archélaüs, général des troupes de Mithridate, au pied des autels, où il s’était réfugié. On cite Aulu-Gelle, l. XIV. Il est certain qu’Aulu-Gelle, au chapitre Ier. du XVe. livre, parle d’une chose dont le continuateur a fait mention, je veux dire d’un expédient employé par Archélaüs pour empêcher que les Romains ne brûlassent une tour de bois qui défendait le Pirée : nous verrons ci-dessous ce que c’est ; mais il est très-faux qu’il dise qu’Archélaüs se réfugia dans un temple, et que Sylla le tua lui-même au pied des autels. Je ne pense pas qu’aucun auteur digne de foi ait dit cela ; car c’est un fait notoire qu’Archélaüs ayant contraint Sylla d’abandonner les attaques du Pirée, et de s’attacher uniquement à la ville, eut le temps de se retirer lorsqu’il la sut prise d’assaut [5]. Sylla le poursuivit, et gagna sur lui de grandes victoires, et l’obligea de faire la paix à des conditions désavantageuses. Archélaüs, se voyant soupçonné de malversation [6], n’osa se fier à Mithridate, et vint trouver Muréna, qui commandait les Romains. Il fut reçu avec honneur, comme Strabon l’a remarqué en plus d’un endroit : Ἦν δὲ οὗτος Ἀρχέλαος ὑιὸς μὲν τοῦ ὑπὸ Σύλλα καὶ τῆς συγκλήτου τιμηθέντος [7]. Fuit hic Archelaus filius ejus cui à Syllâ et senatu honor est habitus.

Le secret de préserver sa tour de bois consistait à la bien frotter d’alun. Je pense que Quadrigarius est le seul historien qui en ait parlé. Les autres disent que ses tours et ses machines furent ruinées par les assiégeans. Il est bien certain que l’alun n’a point la vertu dont Quadrigarius parle. Voici ses paroles : Tum Sulla conatus est et tempore magno eduxit copias ut Archelai turrim unam, quam ille interposuit, ligneam, incenderet. Venit, accessit, ligna subdidit, submovit Græcos, ignem admovit, satis sunt diù conati, nunquàm quiverunt incendere : ità Archelaus omnem materiam obleverat alumine, quod Sulla atque milites mirabantur : et, postquàm non succendit, reduxit copias [8]. Si M. l’abbé de la Roque avait eu connaissance de cet endroit d’Aulu-Gelle, il n’aurait pas dit que « l’histoire remarque que Sylla entreprit

  1. Torrent. in Sueton., Tiber., cap. VIII, et nous renvoie à Euseb., in Chron. et Eccles. Histor., lib. I, et à Josephe, Antiquit., lib. XVII, cap. XI.
  2. Comment. in Suetonium.
  3. Saliani Annales, in Scholis, ad ann. 3 Christi, num. 7.
  4. Voyez Noldius, de Vitâ et Gestis Herodum, pag. 194, et seq.
  5. Vide Appian., in Mithridat.
  6. L’Epitome de Tite-Live marque qu’Archélaüs livra la flotte de Mithridate aux Romains. Aurelius Victor dit que Sylla classem Mithridatis proditione Archelai intercepit.
  7. Strabo, lib. XII, pag. 384. Voyez aussi lib. XVII, pag. 547.
  8. Apud Aul. Gel., lib. XV, cap. I.