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ARÉTIN.

Je ne toucherai que deux différences. La première, c’est qu’il n’en avait pas été quitte pour la peur : le bâton avait effectivement joué sur ses pauvres épaules. La seconde est qu’il ne divertit pas beaucoup en changeant de style ; il était sorti de son élément. On ne signale guère son esprit, quand on se met sur le tard à faire des livres de dévotion : cela soit dit selon l’hypothèse du sieur Freher, que j’examinerai ci-dessous. Mais le bon de l’affaire est, qu’au sentiment de quelques personnes les livres qu’il fit en ce genre sentent un homme bien converti. On n’ignore point quelle a été la conversion du fameux Arétin. On n’a trouvé rien en lui qui ne fut changé, jusqu’à son nom ; et quelques-uns prétendent qu’il y a si bien réussi, qu’il n’est presque pas possible de reconnaître dans les livres de dévotion de Partenio Etiro [1], les marques du vieil homme, qui sont si fortement empreintes dans l’ouvrage de Pietro Aretino [2]. On a recueilli des conversations de M. Ménage une chose qui doit avoir ici sa place : « L’Arétin a fait aussi des œuvres de dévotion, et cela a fait dire de lui, ubi benè, nemo meliùs ; ubi malè, nemo pejùs... Voici une épigramme sur la Paraphrase des sept psaumes de la pénitence par l’Arétin :

» Si ce livre unit le destin
» De David et de l’Arétin
» Dans leur merveilleuse science,
» Lecteur, n’en sois pas empêché :
» Qui paraphrase le péché,
» Paraphrase la pénitence [3]. »


Notez qu’à la seconde édition du Ménagiana on a ôté le ubi benè, nemo meliùs, et qu’on a dit, qu’en matière de dévotion, on ne peut souffrir le style d’Arétin, et que c’est la chose du monde la plus pitoyable que les Vies de J. C., de la Vierge, de saint Thomas d’Aquin, la Genèse, et la Paraphrase sur les psaumes, soit pour les pensées, soit pour l’expression.

Il paraît, par le passage que j’ai cité du sieur Freher, qu’on a cru que les livres de libertinage, et les livres de dévotion ont été composés en divers temps par l’Arétin ; les premiers avant sa conversion, les derniers depuis sa conversion. M. Moréri lui attribue d’avoir fait sur la fin de ses jours les ouvrages de piété ; je doute fort de cela ; car il dit lui-même dans l’épître dédicatoire de la IIe. partie de ses Ragionamenti, qu’il se piquait principalement de travailler vite, et de tirer de son propre fonds : et pour prouver la fécondité et la promptitude de sa plume, il étale le titre de plusieurs ouvrages qu’il avait faits en très-peu de temps, les uns sur des matières de dévotion, les autres sur des matières de gaieté : Tutto è ciancia, eccetto il far tosto, e del suo. Eccovi la i salmi, eccovi la historia di Christo, eccovi le comedie, eccovi il dialogo, eccovi i volumi divoti ed allegri, secondo i sogetti, ed ho partorito ogni opera quasi in un di, e per che si fornisca di vedere cio che sa far la dote, che si ha ne le fasce, tosto udiransi i furori de l’armi e le passioni d’amore, che io doverei lasciar di cantare per descrivere i gesti di quel Carlo Augusto. Sa paraphrase sur les psaumes pénitentiels était déjà traduite en français, et imprimée à Lyon, l’an 1540. Sa paraphrase sur la Genèse, avec la vision où Noé connut les mystères du Vieil et nouveau Testament, fut imprimée à Lyon, en 1542, traduite de son italien [4]. Qui oserait dire qu’en ce temps-là cet auteur avait renoncé à ses péchés et à ses libelles ? Quoi qu’il en soit, voici le titre de quelques-uns de ses ouvrages de dévotion : Specchio delle opere di Dio ; Paraphrasi sopra à sette salmi ; Vita della beata Virgine ; Humanità del Figliuolo di Dio ; Vita di santo Tomaso d’Aquino ; Vita di santa Catarina Virgine e Martire [5].

Voici la confirmation complète de ce que j’ai avancé [6]. « L’Arétin ne composait des œuvres de piété que pour exercer son imagination, et pour faire voir qu’il était capable de tout, pour apaiser les dévots irrités contre lui, et pour

  1. Il prit cette anagramme de son nom à la tête de ses livres de piété.
  2. Baillet, Jugemens sur les Poëtes, tom. I, pag. 133.
  3. Ménagiana, pag. 266.
  4. Biblioth. de Duverdier.
  5. Freherus, Theatr. Viror. illustr., pag. 1461 ; ex Theatro Ghilini.
  6. M. de la Monnoie, Remarques manuscrites.