Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/311

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
301
ARÉTIN.

Bonaventure des Periers, in-16, à Paris, en 1572 [* 1], et qu’on ne me montrera la latine nulle part dans un livre aussi ancien... Il y a des fautes dans l’épitaphe italienne de l’Arétin produite par Moréri et par Voétius.... la plus correcte est celle qui se lit en ces termes dans le Ghilini :

 » Qui giace l’Aretin amaro Tosco
 » Del sem’ human, la cui lingua trafisse
 » Et vivi, et morti : d’Iddio mal non disse,
 » E si scuso, co’l dir, io no’l conosco. »


Ceci, bien loin d’énerver ma critique de Moréri, en est plutôt la confirmation.

Dans les entretiens que j’eus l’an 1696, avec le père Coronelli, qui accompagnait les ambassadeurs que la république de Venise envoyait en Angleterre, je lui demandai ce qu’il pensait de l’épitaphe de l’Arétin. Il me répondit qu’il ne la croyait pas telle que Moréri la rapporte, et il me promit de s’en informer. Il m’écrivit de Venise, le 2 de novembre de la même année, et me marqua qu’il était très-vrai que l’Arétin fut enterré dans l’église de Saint-Luc ; mais qu’il n’avait pu encore rien découvrir touchant l’épitaphe. Il m’envoya un passage tiré [1] du Venetia descritta dal Sansovino, coll’ Additioni del Martinioni : Voici ce qu’il contient : Vi dorme parimente in un deposito posto in aria quel Pietro Aretino, il quale fu cognominato flagello de’ prencipi, per la licentiosa presuntione della sua mordacissima penna, ed il quale morendo perde del tutto il nome : poiche essendo ignaro di lettere, e operando per forza di natura ne’ suoi caprici, hebbe dopo morte il meritato premio della sua petulantia : conciosia che essendo le cose sue reputate dalla Chiesa poco christiane, furono vietate del tutto a lettori, e si sarebbe affatto cancellata la memoria, se l’Ariosto burlandosi del titolo ch’egli si haveva preso indebitamente, non havesse detto nel Furioso :

......... Ecco il flagello
De Prencipi, il divin Pietro Aretino.


Notez, je vous prie, ces paroles de M. Misson : « J’ai peine à croire qu’on ait tourné en épitaphe, comme quelques-uns m’en assurent, la mordante épigramme qui a été faite contre l’Arétin. À tout hasard, je mettrai ici la copie qu’on m’en a donnée [2]. » C’est dommage qu’il n’ait jamais trouvé ouverte l’église de Saint-Luc : il y alla plusieurs fois tout exprès pour y voir le tombeau de l’Arétin. S’il avait pu la visiter, il nous fournirait une bonne décision. Les journalistes d’Utrecht, en parlant de son voyage, rapportent les quatre vers, Condit Aretini cineres, etc. et déclarent qu’on dit qu’ils sont gravés sur le tombeau de ce satirique, cujus sepulchro sequentes versus inscripti esse dicuntur [3]. Encore un coup, je n’en crois rien.

(I) On a tort de dire qu’il ne connaissait pas Dieu : ses ouvrages de piété témoignent manifestement le contraire. ] Paul Freher rapporte que quelques princes d’Italie, mauvais imitateurs de l’empereur et du roi de France, qui faisaient des présens à l’Arétin pour n’en être pas déchirés, lui firent donner cent coups de bâton, et que ce châtiment eut un tel effet, que cet auteur renonça aux satires et aux libelles diffamatoires, et ne fit plus que des livres de piété : Quidam principes Italiæ minùs sibi convenire existimantes donis eum afficere, fustibus [* 2] ad mortem usque cædere per alios curârunt, et hoc modo linguam ejus maledicam refrenârunt, qui deinceps à scriptis satiricis abstinens sacra scripsit, non sicut priora per inquistitionem prohibita [4]. Il lui arriva donc la même-chose, à quelques différences prés, qu’à ceux dont Horace dit dans la première épître du IIe. Livre, v. 154,

..... Vertêre modum formidine fustis
Ad benè dicendum delectandumque redacti.

  1. (*) Je cite cette édition, parce que dans la première, qui est de Lyon, in-8o., chez Robert Granjon, en 1558, moins ample de 35 contes que celle-ci, l’épitaphe de l’Arétin n’est point rapportée.
  2. * Joly dit que jamais les princes d’Italie ne maltraitèrent Arétin, et que ce fut l’ambassadeur d’Angleterre qui lui fit donner des coups de bâton en septembre ou octobre 1547.
  1. De la page 120.
  2. Misson, Nouveau Voyage d’Italie, tom. I, pag. 281, édit. de la Haye, en 1698. Ce Voyage a été si bien reçu du public, et avec raison, qu’on l’a déja imprimé trois fois.
  3. Biblioth. librorum novorum, tom. III, pag. 630.
  4. Freheri Theatr. Viror. illustrium, pag. 1461. Ghilini dit la même chose dans la page 192 de la première partie de son Teatro.