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ARÉTIN.

tanti, prima che se le dia l’anello [1]. Il fallut que l’Arétin fît servir au paiement de cette somme la chaîne d’or qu’il avait reçue du prince d’Espagne [2]. Il s’adressa au cardinal de Lorraine, pour en être secouru dans cette nécessité : je ne sais point s’il en obtint quelque chose ; mais je sais qu’il fut secouru du duc de Florence. La lettre de change que ce prince fit expédier [3] portait qu’on ne la payât que sur de bonnes attestations que le mariage avait été consommé [4]. Cette condition fit hâter les noces : le père eût voulu les différer, parce que la jeune Adria lui paraissait d’un âge trop tendre ; mais il fallut passer par-dessus cette considération. Il dit que sa fille, en se mettant au lit nuptial, parut être une victime pure mise sur l’autel sacré : Per importarmi più l’honore della parola obligata, che il rispetto della etade tenera, consentii che la innocentia si copulasse co’l sacramento. Ella, nello entrare nel letto, parve una ostia pura, posta sopra l’altare sacro [5]. Il paraît que le beau-fils [* 1] n’exigea point à toute rigueur que la somme lui fût comptée en bonnes espèces avant les noces : il se contenta d’être nanti de la chaîne d’or que le fils de l’empereur avait donnée à l’Arétin : d’en être, dis-je, nanti pour la sûreté de ce qui manquait aux mille ducats ; mais cela ne laissait pas d’embarrasser le beau-père, qui avait envie de conserver cette chaîne d’or, et qui se voyait chargé de sa fille jusqu’à ce que toute la somme fût payée ; car, avant l’entier paiement, le gendre ne voulait point amener chez lui son épouse. Le duc de Florence fut encore importuné, et déboursa quelque chose [6].

(R) Il vit sa fille si malheureuse dans le mariage, qu’il se repentit de son impatience. ] Ce mariage ne fut pas heureux : la pauvre Adria fut si maltraitée chez son mari, qu’elle fut contrainte de s’en retourner chez son père ; mais son mari lui ayant promis un traitement plus commode, elle se laissa persuader la réunion, et ne fut pas plus heureuse qu’auparavant [7]. On continua de lui ravir le pouvoir des clefs ; pouvoir qui ne tombe jamais en quenouille dans l’église, mais qui est affecté aux femmes dans le ménage. Elle ne pouvait ni manger, ni boire que quand il plaisait à d’autres de disposer de la clef en sa faveur. On la chicanait éternellement sur ses parures : on ne voulait point qu’elle portât de joyaux, et on la voulait contraindre à vendre un diamant que son père lui avait donné. Elle était donc attaquée par les endroits les plus sensibles : c’était vouloir lui arracher les entrailles. L’Arétin implora pour elle la protection de la duchesse d’Urbin [8]. Quel crève-cœur de se voir si méprisé de son gendre, pendant que son nom faisait du bruit jusqu’à la cour de Perse [9] ! Quelle amertume domestique, au milieu des prétendues douceurs d’une grande réputation ! Pouvait-on se consoler en considérant que ce brutal méprisait aussi le duc de Florence, qui lui avait tant recommandé de bien traiter son épouse ? C’était, au contraire, un nouveau sujet de confusion pour la personne qui avait choisi un tel gendre : Benche en quanto al non fare nissuna stima di me simil’ cane, non è maraviglia, è ben’ da stupire del si poco rispetto che mostra d’havere lo asinaccio al gran’ duca, la cui benignità mansueta, uscendo noi di Pesaro, per il viaggio di Roma, cosi qual era a cavallo, chiamollo, e dissegli : Se tu vuoi che non ti si manchi di gratie, tratta la moglie tua, si come di me nata fusse [10]. Notez que Pierre

  1. * Adria, dit Joly, fut fiancée en 1548 a Diotallevi Rota, jeune homme de vingt-neuf ans, né dans le Bergamasque, mais établi dans le duché d’Urbin. Le mariage fut célébré deux ans après.
  1. Arétin, lettre CXLV du Ve. liv., folio 72 verso, édition de Paris, en 1609.
  2. Là même.
  3. Voyez la XXIVe. Lettre du même livre. Elle est datée de Venise, l’an 1548.
  4. Voyez la CCXXe. Lettre du Ve. livre. Elle est datée du mois de mars 1549.
  5. Là même, folio 102.
  6. Voyez le VIe. livre des Lettres de d’Arétin, folio 121.
  7. Voyez le VIe. livre de ses Lettres, folio 281.
  8. Sa lettre à la duchesse d’Urbin est datée de Venise du mois de novembre 1554.
  9. Voyez la remarque (A).
  10. L’Arétin, au feuillet 282 du VIe. livre de ses Lettres.