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ARGYROPYLE.

observe que ce Théodore s’y réfugia lorsqu’Amurath ébranlait toute la Grèce par ses armes victorieuses : Amurathe Græciam omnem victricibus armis quatiente, in Italiam venit [1]. C’est nous porter à croire qu’Argyropyle quitta son pays avant que la ville de Constantinople eût été prise par les Ottomans. Ma seconde raison est qu’il adressa un Traité de Consolations à l’empereur de Constantinople. J’avoue que, pour faire de ceci un bon argument, il faudrait prouver qu’il composa cette pièce en Italie, et je confesse que je ne puis point le prouver. Ainsi je ne vous donne cette observation que pour un motif de demeurer en suspens. Paul Jove est bien condamnable d’avoir négligé la chronologie autant qu’il l’a négligée dans ses éloges ; car il lui eût été facile de déterrer la date des charges, des voyages et de la mort de ses illustres : cela soit dit en passant, Vossius observe que ce Traité d’Argyropyle, et sa Monodie, et son livre de Regno, et ses Parallèles entre les Princes anciens et modernes, sont dans la bibliothéque du roi très-chrétien [2]. M. Moréri, qui n’avait jamais vu ces ouvrages, assure pourtant que l’auteur les a consacrés à la gloire de la maison de Médicis. Que ne se contentait-il d’assurer cela touchant les versions d’Aristote ? car son guide ne va pas plus loin [3].

(B) On croira..…. aisément ce qui a été rapporté touchant sa bedaine. ] Citons Paul Jove : Vini et cibi æquè avidus et capax, et multo abdomine ventricosus immodico melopeponum esu autumnalem accersivit febrem, atquè ità septuagesimo ætatis anno ereptus est [4]. Mourir de trop manger est une chose honteuse à tous les humains, mais surtout aux gens de lettres. Il vaudrait mieux, pour la gloire d’Argyropyle, qu’il fût mort de faim ou d’inanition. Ne prenons pas néanmoins la masse énorme de son ventre pour une raison à opposer à ceux qui le louent d’avoir été fort habile : le succès d’un tel combat serait incertain. Voyez les recueils qu’on étalera dans les remarques de l’article Gorgias. [* 1]

(C) On a remarqué qu’il fut le premier des Grecs qui enseigna à Rome... ] Politien, son disciple, va être cité ; voyez ces paroles de Hornius : Primus ex Græcis Romæ philosophiam professus fuit Argyropylus, cujus sectatorem se fuisse memorat Angelus Politianus, Miscell. cap. 1, eumque cum litterarum latinarum minimè incuriosum, tum sapientiæ decretorum, disciplinarumque adeò cunctarum quæ cyclicæ à Martiano dicuntur, eruditissimum illis temporibus habitum atque in disputando acerrimum [5].

(D) Les jugemens qu’on a faits de ses versions différent extrêmement les uns des autres. ] M. de Thou observe que Périon, voulant s’éloigner de la méthode d’Argyropyle, se jeta dans une autre extrémité. Il trouvait qu’Argyropyle avait traduit Aristote plus fidèlement qu’élégamment : c’est pourquoi il entreprit une traduction qui fût capable de plaire à ceux qui aiment la belle latinité : mais en s’attachant trop à l’élégance du style, il se fit accuser de ne suivre pas le sens de l’auteur : Is (Joachimus Perionius) cùm Aristotelem hactenùs à Johanne Argyropylo fideliter potiùs quàm ornatè versum auribus latinis proponendum statuisset, dum elegantioris styli potiùs quàm veri rationem plerumquè Ciceroni suo addictus habet, in contrariam ab Argyropylo reprehensionem incidit [6]. Ce jugement revient à ceci : les traductions d’Argyropyle sont fidèles, mais sans grâces et sans ornemens. D’autres en jugent d’une façon tout opposée, car ils disent que l’on y trouve plus d’élégance que de fidélité : et ils le blâment de n’avoir pas traduit mot pour mot son original, « selon le devoir, ajoutent-ils, de ceux qui traduisent la Sainte Écriture et Aristote. » Aliquot Aristotelis libros convertit magts eleganter quàm fideliter, cùm in hoc philosopho haud aliter quàm in Sacris Litteris verbum verbo reddere oporteat [7]. Si nous consultons un professeur de Louvain,

  1. * [ Bayle n’a pas donné cet article. ]
  1. Paul. Jov., Elog., cap. XXVI, pag. 61.
  2. Vossius, de Histor. Græcis, lib. IV, cap. XIX, pag. 493.
  3. Paulus Jovius, Elogior. cap. XXVII.
  4. Id., ibid., pag. 65.
  5. Hornius, Historiæ Philos. lib. VI, cap. VI, pag. 304, 305.
  6. Thuan. Histor., lib. XXIII, pag. 472, ad ann. 1559.
  7. Volater., lib. XXI, pag. 776.