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ARISTARQUE.

pu entendre les leçons du fils d’un disciple d’Aristarque, si Aristarque a fleuri sous Ptolomée Philadelphe.

(B) Dès qu’un vers d’Homère ne lui plaisait pas, il le traitait de supposé. ] Cicéron le témoigne dans ces paroles : Si, ut scribis, eæ litteræ non fuerunt disertæ, scito meas non fuisse. Ut enim Aristarchus Homeri versum negat, quem non probat, sic tu (libet enim mihi jocari) quòd disertum non erit, ne putaris meum [1]. À cela se peut rapporter cet autre passage du même auteur : Nisi fortè scire vis, me inter Niciam nostrum et Vidium judicem esse. Profert alter (ut opinor) duobus versiculis expensum Niciæ : alter Aristarchus hos ὀϐελίζει. Ego tanquam criticus antiquus, judicaturus sum, utrùm sint τοῦ ποιητοῦ, an παρεμϐεϐλημένοι [2]. On dit qu’Aristarque marquait la figure d’une broche à côté des vers qu’il condamnait de supposition, et que de là est venu qu’ὀϐελίζειν signifie condamner. Translatum ab Aristarcho qui Homeri carmina in corpus redegit, atque in libros digessit, versus nothos, hoc est adulterinos et subdititios qui non videntur sapere venam illam Homericam ὀϐελίσκοις, id est minutis verubus prœnotatis damnans : contrà, qui viderentur insignes ac genuini ἀςερίσκοις, id est stellis illustrans [3]. Voyez le poëme d’Ausone, intitulé Ludus sepiem Sapientûm, où il demande une censure rigoureuse de son poëme à Drepanius Pacatus. Il veut qu’on le traite comme Aristarque en avait usé envers Homère, et il se sert de cette expression :

Mæonio qualem cultum quæsivit Homero
Censor Aristarchus, normaque Zenodoti.
Pone obelos igitur superiorum stigmata vatum,
Palmas non culpas esse putabo meas [4].


On croit qu’il parle d’Aristarque dans le dernier de ces deux vers :

Quique sacri lacerum collegit corpus Homeri,
Quique notas spuriis versibus apposuit [5].


Charles Étienne, Lloyd et Hofman, assurent dans leurs dictionnaires qu’Elien témoigne que la critique d’Aristarque était si exacte, que lorsqu’elle condamnait un vers à ne passer point pour être d’Homère, on le traitait de supposé : Ælianus tradit hunc tam castigato fuisse judicio, ut Homeri versus non putaretur, quem ipse non probasset. Quenstedt assure la même chose [6]. Je ne pense point qu’Elien dise cela : et, s’il le disait, il se tromperait ; car nous apprenons d’Athénée que l’on condamnait souvent le goût de ce grand critique [7] : on prenait pour des vers d’Homère ceux qu’il avait rejetés, et l’on se moquait de ses raisons. Sa hardiesse seule était capable de décréditer ses jugemens. Il décidait, en quelques rencontres, que tels et tels vers de l’Iliade devaient être transportés dans l’Odyssée [8]. Allatius n’a point ignoré que l’on censura souvent la critique d’Aristarque. Il cite pour ce sujet Athénée [9], Plutarque et le scoliaste d’Homère. Il nous apprend que le grammairien Ptolomée d’Ascalon publia un livre de Aristarchi correctione in Odysseâ [10], et que Zénodote d’Alexandrie fut mandé pour faire la révision de la critique d’Aristarque : Zenodotus alter Alexandrinus ideò advocatus est, ut de reprobatis ab Aristarcho Homericis carminibus judicium ferret [11]. Idem (Suidas) Ζηνόδοτος Ἀλεξανδρεὺς γραμματικὸς ὁ ἐν ἄςει κληθεὶς πρὸς τὰ ὑπ᾽ Ἀριςάρκου ἀθετούμενα τοῦ Ποιητοῦ. Et néanmoins il assure que l’antiquité eut tant de respect pour le jugement d’Aristarque, qu’on ne croyait pas que les vers qui lui déplaisaient fussent d’Homère : Aristarchi porrò judicium adeò probavit antiquitas, ut Homeri versus non putarentur, quos ipse non probaret [12]. N’est-ce pas une grande faute de jugement ? Élie Vinet mérite ici beaucoup de censure. Cujus (Aristarchi), dit-il [13],

  1. Cic., Epist. XI ad Famil., lib. III, p. 169.
  2. Id, ib., lib. IX, Epist. X, pag. 23, 24.
  3. Erasmus, Adag., chiliade I, centur. V, num. 57, pag. 178.
  4. Ausonius, in Ludo septem Sapientùm, vers 11.
  5. Idem, Epistolâ XVII, vs. 26.
  6. Quenstedt, de Patriis Viror, illustrium, pag. 433.
  7. Vide Athenæum, lib. IV, passìm, et ibi Casaubonum : item lib. V, pag. 188, 189. Voyez aussi Plutarque, de audiendis Poëtis, pag. 26.
  8. Athen., lib. IV, cap. XXVIII, p. 180.
  9. Il ne cite que le Ve. livre d’Athénée.
  10. Ἔγραψε περὶ τῆς ἐν Ὀδυσσείᾳ Ἀριςάρχου διορθώσεως. Suidas, apud Allatun, de Patriâ Homeri, pag. 105.
  11. Idem, ibid.
  12. Idem, ibid., pag. 104.
  13. Elias Vinetus in Ausonii Ludum septem Sapientûm, initio, pag. 265.