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ARISTARQUE.

veteres tanti fecerant judicium, ut quem non probaret, Homeri versum non crederent. Ità Cicero, Suidas, Erasmus. Il est faux que Cicéron dise cela : il dit seulement qu’Aristarque ne prenait pour de véritables vers d’Homère que ceux qui lui semblaient bons [1]. Suidas non plus ne dit point ce que Vinet lui impute. Je puis assurer la même chose d’Érasme, à l’égard du lieu d’où j’ai tiré ce qu’on a vu ci-dessus [2]. M. Saldénu,ayant voulu changer quelque chose dans les paroles de Charles Étienne que j’ai citées, a commis une lourde faute contre le raisonnement. Il n’a point cité Elien, et il n’a point assuré que la critique d’Aristarque fût exacte : il s’est contenté de dire que ce censeur la croyait telle. Jusqu’ici tout va assez bien : l’on abandonne Charles Étienne sur une fausse citation, et l’on ne répond que d’une chose très-vraisemblable, c’est que le correcteur d’Homère s’estimait un fort habile homme ; mais voici où est le mal : de cette opinion avantageuse qu’il avait de son esprit, on conclut que l’antiquité ne recevait pour des vers d’Homère que ceux qui plaisaient à Aristarque. C’est une mauvaise conclusion : Grammaticus ille, qui hoc nomen (Aristarchi) gessit, tam castigato se putavit esse judicio, ut Homeri versus nullus haberetur quem ipse non probaret [3]. C’est ainsi que M. Saldénus raisonne, et pour prouver son raisonnement, il nous cite les paroles où Cicéron dit qu’Aristarque rejetait comme supposés à Homère tous les vers qui n’étaient pas à son goût. Cette preuve ne vaut pas mieux que la thèse même qu’il fallait prouver. J’ai lu dans le Commentaire d’un moderne, qu’Aristarque avait une critique si fine et si pénétrante, qu’on l’appelait ordinairement le prophète ou le devin, à cause de sa grande sagacité [4]. J’ai été surpris de ne trouver aucune trace de ce grand éloge dans une infinité d’écrivains que j’ai parcourus aux endroits où ils font mention de ce grammairien. Enfin, j’ai trouvé ceci, dans une note de Corradus sur les Épîtres de Cicéron : Hinc illum (Aristarchum) μάντιν ἐκάλει Παναίτιος ὁ Ῥόδιος ϕιλόσοϕος διὰ τὸ ῥᾳδίως καταμαντεύεσθαι τῆς τῶν ποιημάτων διανοίας. Athen., l. 14 [5]. Je l’ai cherché dans le XIVe. livre d’Athénée, mais fort inutilement [* 1]. Quoi qu’il en soit, il y a une grande différence entre cette citation de Corradus, et celle de M. Dacier. Les paroles grecques signifient seulement que Panétius donnait le non de devin à notre Aristarque, et non pas que ce fût le style ordinaire de l’antiquité.

Notez qu’au sentiment de plusieurs personnes ce fut Aristarque qui divisa les deux grands poëmes d’Homère, chacun en autant de livres qu’il y a de lettres dans l’alphabet, et qui donna à chaque livre le nom d’une lettre : Plutarchus, lib. de Homero. Iliadem et Odysseam Homeri ab Aristarcho grammatico in numerum librorum divisam ad ordinem et numerum Græcarum litterarum. Eustathius in Iliados α tradit, Aristarchum et Zenodotum confusum anteà Homeri opus digessisse in certos libros, eosque litteris distinxisse. Undè non solùm primus tam Odysseæ quàm Iliadis liber α vocatur, secundus β, et sic deinceps : verùm etiam ipsum opus γράμματα nominatur. Et sanè verum est, hanc per litteras divisionem recentiorem, Nam antiqui nunquàm eâ usi, ut patet ex Aristotele de Poëticâ, cap. XXIV [6].

(C) Il n’est pas vrai que, pour critiquer tout le monde sans craindre qu’on lui rendît la pareille, il ait eu la ruse de ne rien donner au public. ] M. Saldénus, sous le faux nom de Christianus Libérius, débita une fausseté quand il dit : Sic Aristarchus grammaticus nullos non reprehendebat, nihil ipse scribens, ne ab aliis reprehendi posset [7]. Je ne sais

  1. * Bayle n’a pas bien cherché : le passage cité par Corradus se trouve effectivement dans le XIVe. liv. d’Athénée, pag. 634, D, à la fin du chap. VIII, édition de Casaubon (1612) que Bavle a toujours coutume de citer.
  1. Voyez ci-dessus, citation (21), les paroles de Cicéron.
  2. Citation (23).
  3. Salden., de Libris, pag. 388.
  4. Dacier, Remarques sur l’Art poétique d’Horace, pag. 371, 372.
  5. Corradus in Epistolam XIV Ciceronis ad Atticum, lib. I.
  6. Soannes à Wower., de Polymathiâ, cap. XVIII, pag. 153, 154.
  7. Christianus Liberius, in Bibliophil., pag. 21, cité par Ménage, Anti-Baillet, tom. I, pag. 81.