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ARISTARQUE.

point s’il la débita avec tous les mêmes correctifs que dans l’ouvrage qu’il publia sous son véritable nom en 1688. S’il les avait employés, M. Ménage ne l’aurait pas bien cité ; car il aurait accourci d’une partie essentielle le passage qu’il rapporte. Voici les paroles de M. Saldénus dans l’ouvrage qu’il publia l’an 1688 : Sicuti Aristarchus grammaticus neminem non reprehendebat, nihil interim ipse scribens, ne reprehendi ab aliis posset, ut nonnulli volunt : licet alii sint, ac plerique quidem qui πολυγράϕοις ipsum accensent, ut suprà diximus [1]. Ce qu’il rapporte, concernant la ruse de ceux qui, pour censurer tous les auteurs, sans appréhender la peine du talion, ne publient rien, peut servir de supplément à l’une des pages de mon Projet [2]. On y pourrait joindre ces paroles de M. le Fèvre, adressées à un journaliste : Encore, si vous aviez fait quelque livre de vostre chef, cela iroit bien ; mais dans les termes où vous estes, je trouve que vous jouez avec un peu trop d’avantage : c’est se moquer de ne mettre qu’un liard contre une double pistole ; je ne sçay pas qui voudroit jouer contre vous [3].

(D) Ceux qui le font contemporain de Pisistrate, s’abusent grossièrement. ] Cette erreur est fort ancienne. Allazzi rapporte un long passage où l’un des commentateurs de Denys de Thrace débite que Pisistrate fit publier par toute la Grèce que tous ceux qui lui apporteraient quelques vers d’Homère, en seraient récompensés à tant par vers. Quand il en eut ramassé autant qu’il lui fut possible, il fit venir soixante-dix grammairiens, et leur donna une copie de ce recueil. On leur déclara que l’on souhaitait que chacun d’eux, travaillant à part, mît ces vers dans le meilleur ordre qu’il pourrait. Après qu’ils eurent exécuté cette commission ils s’assemblèrent par les ordres de Pisistrate, et se montrèrent les uns aux autres ce que chacun avait fait. Ils s’accordèrent unanimement à reconnaître que le travail d’Aristarque et celui de Zénodote méritaient la préférence ; après quoi, ils déclarèrent que l’ouvrage de Zénodote devait céder à l’ouvrage d’Aristarque [4]. Ce récit contient entre autres mensonges celui-ci, qu’Aristarque et Pisistrate ont vécu en même temps. Il était aisé de reconnaître cette fausseté ; et néanmoins les commentateurs de Denys de Thrace l’ont persuadée à beaucoup de gens. Eustathius la débitée, et après lui Génebrard et Jason de Nores. Lisez ce passage d’Allatius : Multis aliis recentioribus fucum fecerunt. Nam Eustathius in A Iliados idem asseri : Οἱ δὲ συνθέμενοι ταύτην κατ᾽ ἐπιταγὴν, ὡς ϕασὶ, Πεισιςράτου τοῦ τῶν Ἀθηναίων τυράννου Γραμματικοὶ, καὶ διορθωσάμενοι κατὰ τὸ ἐκείνοις ἀρέσκον, ὧν κορυϕαῖος ̓Αρίςαρχος, καὶ μετ᾽ ἐκε͂ινον Ζηνόδοτος. Id est : Qui verò eam composuerunt grammatici, jussu, ut tradunt, Pisistrati Atheniensium tyranni, et ut sidi melius visum est correxerunt, quorum princeps Aristarchus, et post eum Zenodotus. Et inferiùs : Τοῦ δὲ ἀπαγγέλλειν τὴν Ὁμήρου ποίησιν σκεδασθεῖσαν ἀρχὴν ἐποιήσατο Κίναιθος ὁ Χῖος. Ελυμῇναντο δὲ, ϕασὶν, αὐτὴν πάμπολλα οἱ περὶ τὸν Κίναιθον. καὶ πολλὰ τῶν ἐπῶν ἀυτοὶ ποιήσαντες παρενέϐαλον. Διὸ καὶ διωρθώθησαν αἱ Ὁμηρικαὶ βιϐλοὶ, ὡς ἀνωτέρω εἴρηται. Id est : Homeri verò poësim dispersam recitandi principium fecit Cinæthus Chius. Verùm illam multis modis Cinæthi sectatores depravârunt, multaque à se conscripta carmina indiderunt. Quarè libri Homerici correcti sunt, ut superiùs diximus. Gilbertus Genebrardus Chron. lib. 2. Pisistrati jussu Aristarchus Homeri rapsodiam recensuit, et in 24 partes pro numero elementorum distribuit. Iason de Nores in Artem Poëticam Horatii, Aristarchus miro quodam acumine castigabat veterum scripta, atque ideò colligendis Homeri versibus præpositus fuit : In quibus vides miros anachronismos. Primus, qui Aristarchum sub Pisistrato collocat. Secundus, qui Ci-

  1. Guill. Saldenus, de Libris, pag. 43 : il avait dit, pag. 13, Aristarchus Grammaticus supra mille Commentarios signavit : il devait dire, comme Suidas, supra octingentos.
  2. Voyez la fin du paragraphe VI de ce Projet, à la fin du XVe, volume de ce Dictionnaire.
  3. Le Fèvre, seconde Journaline, pag. 48, édition de Hollande.
  4. Allatius, de Patriâ Homeri, pag. 93 et seq. Il dit que ces commentaires ne sont pas imprimés.