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ARISTÉE.

qu’une grande mortalité de bestiaux ayant affligé cette île, Aristée s’y transporta par le conseil d’Apollon, et la délivra de ce fléau, après avoir fait un sacrifice à Jupiter Icmæus. Les vents et les chaleurs qui causaient la mortalité s’apaisèrent. Aristée étant mort, les habitans de l’île de Céa obéirent à l’oracle, qui leur commandait de le mettre au nombre des dieux, et ils le nommèrent Nomius et Agreüs, à cause du bien qu’il leur avait fait par son adresse dans la nourriture des troupeaux, et dans la culture des terres [1]. Ne soyez point surpris de voir ici qu’il fit cesser la mortalité en calmant les vents, et de trouver ci-dessous, qu’il la fit cesser en faisant lever des vents ; car c’est ainsi que sont faites les anciennes traditions : l’une réfute l’autre ; l’une oublie les particularités qui sont les seules que l’autre n’oublie pas. Une narration complète eût pu apprendre, qu’en faisant changer le vent, il ramena la santé ; mais ceux qui ne savent pas tout dire observent que le vent cessa : n’attendez point d’eux le reste ; ou que le vent se leva : vous n’en saurez point davantage ; ils ne vous apprendront pas que le vent contraire fut arrêté, et que le vent favorable lui succéda. La correction d’un passage d’Héraclide, que j’ai lue dans Saumaise, me paraît heureuse ; cependant je ne voudrais pas jurer qu’il n’y eût dans l’original, que le fléau de l’île de Céa venait du vent. Φθορᾶς οὔσης ϕυτῶν καὶ ζώων διὰ τὸ πνεῖν ἐτησίας [2]. Quùm contigisset hìc aliquandò magna lues stirpibus et animantibus propter continuos Etesiarum flatus. Saumaise corrige ainsi, Δία ᾐτήσατο τὸ πνεῖν ἐτησίας. Jovem rogavit Etesias flare [3] : ce qui s’accorde avec ce que je dirai dans la remarque (F).

(D) De Libye... il fit voile vers la Sardaigne. ] Selon Diodore de Sicile, il fut s’établir dans l’île de Céa, après la mort d’Actéon, et puis il alla en Libye, et après cela en Sardaigne [4] ; mais d’autres prétendent que le déplaisir d’avoir perdu Actéon lui donna un tel dégoût pour la Béotie, et pour tout le reste de la Grèce, qu’il fut chercher une demeure dans les pays éloignés [5]. Ce fut alors, disent-ils, qu’il conduisit une colonie en Sardaigne. On a dit que Dédale, s’étant sauvé de l’île de Crète, s’associa avec lui pour la conduite de cette colonie [6] ; mais la chronologie réfute cela invinciblement. Il était contemporain d’Œdipe, roi de Thèbes [7] : il n’a donc pu lier aucune partie avec Aristée gendre de Cadmus. Quoi qu’il en soit, les variations sont ici bien dégoûtantes. Pausanias dit qu’une troupe de Libyens s’était établie dans la Sardaigne, et associée avec les naturels du pays, avant qu’Aristée y allât ; mais Aristote raconte qu’Aristée fut le premier qui la cultiva, et qu’auparavant elle ne servait de demeure qu’à beaucoup de grands oiseaux [8]. Consultez M. Bochart, qui soutient que ce voyage d’Aristée est une fable [9].

(E) L’Arcadie.….fut l’une des principales stations d’Aristée. ] C’est pour cela que Virgile le surnomme Arcadius, quand il parle de l’invention de produire de nouvelles abeilles :

Tempus et Arcadii memoranda inventa Magistri
Pandere, quoque modo cæsis jam sæpè juvencis
Insincerus apes tulerit cruor.... [10].


Cet art fut une invention d’Aristée, et le fit honorer comme Jupiter dans l’Arcadie. Pòst eâ (Ceâ) relictâ, cum Dædalo ad Sardiniam transitum fecit. Huic opinioni Pindarus refragatur, qui eum ait de Ceâ insulâ in Arcadiam migrâsse, ibique vitam coluisse. Nam apud Arcadas pro Jove colitur, quòd primus ostenderit qualiter apes debeant reparari [11]. Justin donne à Aristée un grand royaume dans l’Arcadie : je citerai ses paroles dans la

  1. Voyez Vossius, de Theolog. Gentili, lib. VII, cap. X, pag. 350.
  2. Heraclides, de Politiis, pag. 20.
  3. Salmas., in Solin., pag. 144.
  4. Diodor. Siculus, libro IV, capite LXXXIV.
  5. Pausan., lib. X, pag. 332. Voyez aussi Silius Italic, lib. XII, pag. 498.
  6. Pausan., lib. X, pag. 332. Salluste avait dit cela, comme on l’a vu ci-dessus dans un passage de Servius, citation (40).
  7. Pausan., lib. X, pag. 332.
  8. Aristotel., de Mirabilibus Auscult., Oper., tom. I, pag. 881.
  9. Bochart., Geograph. sacr., parte II, lib. I, cap. XXXI, paf. 632, 633.
  10. Virgil., Georgic., lib. IV, vs. 283.
  11. Servius, in Georgic., lib. I, vs. 14.