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ARISTÉE.

, qu’aux philosophes qui dogmatisèrent sans aucun déguisement [1]. Notez que Denys d’Halicarnasse rapporte que tout le monde ne convenait pas que notre Aristée fût l’auteur des livres qui portaient son nom [2].

(C) Il fut vu plusieurs fois après sa mort. Hérodote a parlé assez amplement de ce miracle. ] Voici le précis de sa narration. Aristée, l’un des principaux de l’île de Proconnèse, entra un jour dans le logis d’un foulon, et y mourut. Le foulon ferma sa porte, et fut annoncer aux parens la mort d’Aristée. Cette nouvelle se répandit bientôt par toute la ville ; mais pendant que l’on s’en entretenait, il vint un homme qui assura qu’il avait rencontré Aristée allant à Cyzique [3], et qu’il lui avait parlé. Les parens se transportèrent à la maison du foulon, avec tout ce qui était nécessaire pour l’enterrement, et ne trouvèrent Aristée ni mort ni vif. Il se montra au bout de sept ans, et composa le poëme des Arimaspes, après quoi il disparut. Deux ou trois siècles s’étant écoulés, il se montra aux habitans de Métapont [4], et leur commanda de faire un autel à Apollon, et de mettre tout auprès une statue en l’honneur d’Aristée le Proconnésien. Il leur dit qu’ils étaient les seuls Italiens qu’Apollon eût honorés d’une visite, et qu’il l’avait accompagné dans ce voyage, et qu’il était non pas Aristée, mais un corbeau, quand il l’y accompagna. Ayant dit ces choses, il disparut. Les Métapontins consultèrent l’oracle de Delphes, pour savoir ce que c’était que cela. Il leur fut répondu qu’ils feraient bien d’obéir. Ils exécutèrent donc cet ordre [5]. L’historien témoigne que l’on voyait de son temps, à la grande place de Métapont, la statue d’Aristée, proche de l’autel d’Apollon, et environnée de lauriers. Joignons à cela un fait rapporté par Athénée. Les Métapontins, après le retour d’Aristée [6], dédièrent un laurier d’airain à Apollon. Ce laurier ayant parlé dans le temps qu’une danseuse de Thessalie s’approchait de la grande place de Métapont, les devins, qui étaient là, furent saisis subitement d’une fureur si étrange, qu’ils déchirèrent cette femme. Notez qu’elle avait reçu de Philomèle un présent sacré, c’était une couronne de laurier d’or, que ceux de Lampsaque avaient consacrée au temple de Delphes [7]. Observez aussi qu’Énée de Gaza, en rapportant la narration d’Hérodote, y ajoute cette circonstance : c’est que les sacrifices des Metapontins étaient censés appartenir en commun à Apollon et à Aristée, comme à deux divinités [8]. Origène a observé qu’Apollon voulut que cet Aristée fût honoré comme un dieu par les habitans de Métapont [9]. Meursius prétend qu’Athénagoras a reproché aux païens d’avoir honoré notre Aristée dans l’île de Chios, et de l’avoir pris pour le même dieu qu’Apollon et Jupiter [10]. Χῖοι Ἀριςέαν τὸν αὐτὸν καὶ Δία καὶ Ἀπόλλω νομίζοντες [11]. Chii Aristeum, quem et Jovem arbitrantur et Apollinem. M. Huet s’imagine, avec beaucoup de vraisemblance, qu’au lieu de Χῖοι, il faut lire Χεῖοι, et qu’il s’agit là d’Aristée, fils d’Apollon et de Cyrène [12] ; car ce dernier Aristée fut honoré dans l’île de Céa [13]. C’est de lui que Suffridus entend le passage d’Athénagoras [14]. M. Huet montre que ces deux Aristées ont été souvent confondus l’un avec l’autre [15].

Ceux qui veulent que tout roman

  1. Idem, ibid., pag. 224.
  2. Dion. Halicarnas., in Judicio de Thucyd., cap. XXVI, pag. 384.
  3. Selon Plutarque, dans la Vie de Romulus, pag. 35, il y eut des gens qui assurèrent qu’ils avaient vu sur le chemin de Crotone.
  4. Ville d’Italie.
  5. Herod., lib. IV, cap. XIV.
  6. Il disait qu’il avait été jusques au pays de Hyperboréens. Athenæus, lib. XIII, pag. 605.
  7. Idem, ibid.
  8. Æneas Gazæus in Theophrastum, apud Meurs. Not. in Apollon. Dyscolum, pag. 87.
  9. Origen. contra Cels., lib. III.
  10. Meursii Notæ in Apollon. Dyscol., pag. 87.
  11. Athenag., Legat. pro Christianis, pag. 28.
  12. Huet., Demonstr. Evangel., Propos. IX, cap. CXLII, pag. 1037. Vossius, de Theolog. Gentili, lib. VII, cap. X, pag. 349, a la même pensée.
  13. Voyez la remarque (C) de l’article précédent, citation (43).
  14. Suffridus, Notis in Athen. Legat., pag. 242.
  15. Huet. Demonstr. Evangel., Propos. IX, cap. CXLII, pag. 1037, et pag. 212.