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ARISTON.

l’une des pensées dont je me servis dans le projet de ce Dictionnaire [1]. J’observai qu’une sentence tirée de Tite-Live où de Tacite, et débitée comme ayant autrefois servi à porter d’un certain côte le sénat romain, est capable de sauver l’état, etc.

(C) Ariston disait que la nature de Dieu n’était pas intelligible. Cela porte à croire qu’il négligeait la contemplation des choses divines. ] Car puisqu’il abandonna la physique, à cause qu’il n’y pouvait rien comprendre, il est vraisemblable, que par la même raison il abandonna la théologie. Divinarum rerum parùm studiosus videtur fuisse, cùm istud sæpè jactaret, quæ supra nos, mihil ad nos, ut mirum sit Aristonem theologos inter hìc à Velleio ascribi. Ces paroles sont d’un jésuite qui a commenté l’ouvrage de Cicéron de Naturâ Deorum [2]. Il fait une faute, quand il s’étonne que Velleius, l’un des interlocuteurs, ait mis Ariston parmi les théologiens ; car ce philosophe n’était pas moins digne de cette place que les autres dont Velleius a rapporté les sentimens. Voici la doctrine de celui-là : Cujus (Zenonis) discipuli Aristonis non minùs magno in errore sententia est : qui neque formam Dei intelligi posse censeat, neque in diis sensum esse dicat, dubitetque omninò Deus animans necne sit [3]. Minucius Felix a parlé du même dogme, et il a dit que Xénophon et Ariston sentaient la grandeur de Dieu par cela même qu’ils désespéraient de l’entendre. Socraticus Xenophon formam Dei veri negat videri posse, et ideo quæri non oportere ; Aristo Chius comprehendi omninò non posse : uterque majestatem Dei intelligendi desperatione senserunt [4]. Un commentateur s’abuse ici puérilement : il croit qu’il y a de la différence entre la personne dont Cicéron a parlé, et celle qui est mentionnée dans ce passage de Minucius ; il le croit, dis-je, parce qu’il suppose que Minucius a parlé d’un homme nommé Aristus. Quod Minucius Aristo Chio, id Cicero, de Naturâ deorum lib. 1, tribuit Aristoni [5]. Faute d’attention, Elmenhorst a cru que l’Aristo de Minucius était un datif ou un ablatif ; mais c’est un nominatif. Au reste, il ne serait pas impossible que le père Lescalopier attribuât à notre Ariston ce qui convient à Socrate. Celebre hoc proverbium Socrates habuit : « Quod supra nos, nihil ad nos [6]. » Lactance infère de là qu’il méprisait la religion. Ejus viri (Socratis) quoties de cœlestibus rogabatur nota responsio est : « Quod supra nos, nihil ad nos [7]. » Notez que, généralement parlant, on ne doit pas soupçonner de négligence dans le service divin ceux qui reconnaissent que la nature de Dieu est inexplicable ; car il y a bien des gens à qui c’est une raison d’adorer Dieu avec plus d’humilité, et avec plus de respect. Ainsi la remarque que l’on fait contre Ariston est quelque chose de personnel ; elle est fondée sur ce que l’on sait d’ailleurs que l’incompréhensibilité était pour lui un motif de négligence. Je ne voudrais pas même assurer positivement qu’il ait négligé la religion : je m’arrête à la seule probabilité ; car, n’en déplaise à Lactance, la maxime de Socrate, que j’ai rapportée [8], n’engageait point ce philosophe à négliger la théologie. Sa doctrine là-dessus était aussi belle qu’on pouvait l’attendre d’un païen [9] ; et il semble qu’il n’ait voulu qu’opposer des bornes à la curiosité humaine, par des raisons que nos plus pieux docteurs ont adoptées : c’est qu’il faut vouloir ignorer ce que Dieu n’a pas voulu que nous sussions ; c’est qu’il y a du péril dans ces recherches profondes. « En un mot, il ne voulait point qu’on recherchât trop curieusement l’artifice admirable avec lequel les dieux ont disposé tout l’univers, etc. [10]. » Vous trouverez la suite de ce passage dans a remarque (S) de l’article Anaxagoras [11], et vous y verrez sans peine que, par

  1. Voyez-en le paragraphe IX, à la fin du XVe. volume de cette édition.
  2. Lescalopier in Ciceron., de Naturâ Deorum, lib. I, pag. 60.
  3. Cicero, ibid., cap. XIV.
  4. Minucius Felix, pag. 154.
  5. Elmenhorst., in Minucium Felicem, pag. 154.
  6. Lactant. Divin. Instit., lib. III, cap. XIX.
  7. Minutius Felix, pag. 112.
  8. Ci-dessus, citation (10).
  9. Voyez Xénophon, au Ier. livre des Choses mémorables de Socrate.
  10. Là même, liv. IV, pag. 386.
  11. Citation (202).