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ARISTON.

les choses célestes dont Socrate n’approuvait pas trop l’étude, il faut entendre, non pas les matières de religion, mais l’astronomie.

(D) Selon Diogène Laërce, le scepticisme était alors, et mal attaqué, et mal défendu. ] Ariston soutenait contre Arcésilas le dogme de l’évidence ; et il crut, voyant un monstre, je veux dire un taureau qui avait une matrice, que son adversaire en tirerait un bon argument pour l’incompréhensibilité. Malheureux que je suis, s’écria-t-il, voilà une forte preuve fournie à Arcésilas [1]. Cela nous apprend que les dogmatiques, voulant soutenir que la nature des animaux était clairement connue, alléguaient que nous distinguons avec certitude les mâles et les femelles de chaque espèce, y ayant certaines parties si propres à celles-ci, qu’elles ne se voient jamais dans ceux-là. S’ils raisonnaient de la sorte, il est sûr que le taureau dont j’ai parlé servait à les réfuter : mais d’ailleurs, il faut convenir qu’ils employaient un argument très-infirme ; car les sceptiques ne niaient pas, que, selon les apparences, il n’y eût de la distinction entre les mâles et les femelles, ils soutenaient seulement, qu’on ne savait pas si leur nature était telle qu’elle paraissait. Or il ne sert de rien d’alléguer contre cela l’existence de ce taureau. Ne pouvaient-ils pas répondre : Vous ne savons pas si en effet il est pourvu de matrice ; ce n’est peut-être qu’une apparence ? Ariston demanda un jour à un acataleptique : Vous ne voyez donc point cet homme opulent, qui est assis au près de vous ? Non, répond l’autre. Qui vous a crevé les yeux, reprit Ariston [2] ? C’était se défendre puérilement, puisque le dogme de l’incompréhensibilité ne suppose pas que l’on soit privé de l’usage de la vue. Il fallait répondre à Arcésilas : L’apparence d’un homme riche assis auprès de moi frappe mes yeux ; mais néanmoins, je ne comprends pas certainement si cet homme existe, ni quelle est sa nature. On a observé, qu’entre les dogmes des stoïques, Ariston s’attacha principalement à celui-ci : Le sage n’opine jamais. Il y eut un philosophe nommé Persée, qui, pour le combattre là-dessus, attitra deux jumeaux dont l’un confia un dépôt à Ariston, et l’autre le redemanda ; et parce qu’Ariston se tint en suspens, il fut réfuté par Persée [3]. J’ai de la peine à comprendre ce que veut dire cela. Ces deux jumeaux se ressemblaient-ils parfaitement, et de telle sorte qu’il fût impossible de les discerner l’un de l’autre, ou étaient-ils dissemblables, comme le sont ordinairement tous les jumeaux ? C’est ce que Diogène Laërce n’observe point. Sa brièveté est quelquefois si insupportable, qu’on dirait que nous n’avons que des extraits mal digérés de son histoire des philosophes. Si ces deux jumeaux étaient faciles à discerner, d’où pouvait venir l’embarras d’Ariston ? S’il n’était guère possible de les discerner, sa suspension n’était point blâmable, et ne pouvait point servir à le réfuter ; car cela même qu’il se tenait en suspens était une preuve de son respect pour la maxime : Le sage n’opine jamais.

(E) Sa secte ne dura que peu de temps. ] Cicéron en parle comme d’une secte dont les dogmes avaient disparu : Sententiæ.... Aristonis, Pyrrhonis, Herilli, nonnullorumque aliorum evanuerunt [4]. Sive, dit-il ailleurs [5], Aristotelem et Theophrastum.... sequuti sunt, sive.... etiam Aristonis difficilem atque arduam, sed jam tamen fractam et convictam sectam sequuti sunt. N’était bien difficile que des sentimens aussi outrés que les siens fissent fortune : il ne mettait de la différence qu’entre le vice et la vertu : « les autres choses, disait-il, ne valent pas mieux et ne méritent pas mieux d’être souhaitées les unes que les autres. » His contrarius Aristo Chius præfractus, ferreus, nihil bonum nisi quod rectum atque honestum est [6]. Il allait plus loin que son maître Zénon ; car celui-ci ne niait pas qu’il n’y eût des choses distinctes de la vertu, qui méritaient d’être souhaitées, encore qu’elles ne servissent pas à l’acquisition du souverain bien. Il n’y avait guère de justesse dans ce dogme, mais enfin il était moins rebutant que celui d’A-

  1. Diog. Laërt., lib. VII, num. 162.
  2. Idem, ibid., num. 163.
  3. Id., ibid., num. 162.
  4. Cicero, Tuscul., lib. V, cap. XXX.
  5. Lib. I de Legibus, cap. XIII.
  6. Idem, in Hortensio, apud Nonnium. Voce præfractum.