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ARIUS.

(L) On condamne et la matière et la forme du poëme, qu’Arius avait intitulé Thalie. ] On a une très-grande raison de condamner les hérésies et de plaindre ceux qui les professent de bonne foi, et d’avoir en abomination ceux qui les enseignent sans les croire ; car de tels docteurs sont des monstres d’ambition et de malice ; mais je ne saurais comprendre qu’il faille faire des crimes particuliers à des docteurs hérétiques de ce qu’ils se servent d’une méthode proportionnée à l’esprit des simples, pour les instruire selon les fausses lumières de leur conscience. Depuis qu’Arius était sorti de l’Église, il s’était avisé de faire diverses chansons pour des matelots, pour des voyageurs, pour ceux qui travaillent au moulin, et il en avait aussi mis en air quelques autres, qu’il croyait capables de toucher ses sectateurs, selon leurs différentes dispositions ; tâchant d’inspirer son impiété par la douceur de ses chants, aux personnes les plus simples et les plus grossières.… Mais sa Thalie était beaucoup plus célèbre que tous ses autres ouvrages. Il en avait emprunté le nom et le modèle d’un ancien poëte nommé Sotade.... Ce poëte burlesque avait affecté un style si mou dans cette chanson, et la cadence en était si efféminée, que les païens mêmes le traitaient avec le dernier mépris, comme un homme ridicule : et il n’y a en cela nulle exagération dans les paroles de saint Athanase, puisque les poëtes les moins chastes, et qui écrivent avec plus de licence, rougissent de l’impureté des chansons de cet infâme poëte de l’antiquité. C’était à l’imitation de cet auteur, qu’Arius avait donné à son ouvrage le nom de Thalie, qui signifie proprement un festin et une assemblée de jeunes gens, ou une chanson faite pour être chantée dans ces sortes de festins [1]. M. Hermant rapporte ensuite un fort long passage de saint Athanase [2], où Arius est appelé un je ne sais quel Sotade, qui est ridicule aux païens mêmes... et un hérétique qui n’a eu de l’émulation que pour les discours ridicules de Sotade seul. On voit dans le même passage le commencement de la Thalie, et un autre morceau qui contient l’hérésie d’Arius touchant Jésus-Christ. On ne saurait ne pas condamner l’orgueil ridicule et insupportable qui paraît dans cet exorde de la Thalie ; mais, encore un coup, blâmons Arius de ce qu’il a été hérétique, et non pas, cela supposé, de ce qu’il a mis en vers un formulaire de sa créance, car autrement nous donnerions lieu aux hérétiques et aux infidèles de condamner les véritables chrétiens, non-seulement de ce qu’ils professent le véritable Évangile, mais aussi de ce qu’ils chantent, outre les psaumes de David, plusieurs hymnes et plusieurs cantiques dont les vers et les airs peuvent être très-semblables aux chansons les plus profanes et les plus coquettes de l’Opéra. Généralement parlant, il vaut mieux que chacun, dans sa religion, chante des vers de piété, que des vers lascifs et satiriques : le matelot et le meunier ariens, dans le malheur d’être ariens, faisaient mieux de chanter leur catéchisme, que de chanter leurs amours. Ce serait alléguer une mauvaise raison, que de dire que les païens mêmes se moquaient des chansons des ariens ; car je ne crois pas que les gentils missent une grande différence entre les ariens et les orthodoxes : ils les haïssaient également ; les ariens n’étaient pas plus favorables que les orthodoxes au culte des idoles païennes. Mais je ne sais si M. Hermant a raison de dire que les païens mêmes traitaient Arius avec le dernier mépris, comme un homme ridicule ; car les paroles qu’il rapporte peu après montrent manifestement que c’est de Sotade, et non point d’Arius, que saint Athanase a dit qu’il était ridicule aux païens mêmes. Je le dis, et je le répète, on peut faire des vers pieux sur les mêmes rimes et de la même mesure que les chansons de l’Opéra ; on en pouvait faire par conséquent sur la mesure des vers sotadiques. Ce n’est point dans cette conformité qu’est le mal ; il est plutôt dans le prétexte que l’on fournit aux railleurs de mépriser le cantique. Je mets ici à part la matière du poème ; et pour faire voir aux protestans en particulier le jugement qu’ils doivent

  1. Hermant, Vie de saint Athanase, liv. I, chap. XIII, pag. 61.
  2. Ex Orat. II contra Arianos.