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ARIUS.

blic. Ceci n’est point une matière usurpée, elle appartient de droit à mon Dictionnaire critique ; car c’est une fausseté de fait que l’hérésie d’Arius ait été enseignée implicitement par les pères des trois premiers siècles. Il est bien étrange que M. Jurieu, ayant parlé de l’arianisme par tant de côtés, ait toujours donné à gauche. Cela est si difficile, qu’on aurait moins de peine à rencontrer un gladiateur qui ne sût jamais frapper un taureau : Taurum toties non ferire difficile est [1]. Il ne faut pas omettre que, sur la question du fait qui regarde les lois pénales de Constantin et la durée et l’étendue de l’arianisme, les auteurs que j’ai cités ci-dessus lui ont marqué son erreur fort honnêtement, et sans recourir aux insultes et aux duretés dont il se serait servi en pareil cas contre un adversaire.

(I) Cette secte a été tour à tour persécutrice et persécutée. ] On ne peut nier que les orthodoxes n’aient été les agresseurs, car nous avons vu que Constantin employa la peine du bannissement contre les principaux chefs de l’arianisme, et qu’il menaça de mort tous ceux qui ne jetteraient pas au feu les écrits de l’hérésiarque ; mais il est certain que Constantius, son fils, et Valens, qui firent monter sur le trône l’arianisme, traitèrent plus rigoureusement les orthodoxes, que Constantin n’avait traité les ariens. À cela près, il semble, généralement parlant, que ceux-ci aient eu plus de tolérance que ceux-là, et c’est une thèse que le commentateur philosophique a entrepris de prouver dans le supplément de son ouvrage [2]. Il se sert, entre autres raisons, de ce qu’au temps que Récarède extirpa l’arianisme dans l’Espagne, les évêques catholiques étaient en beaucoup plus grand nombre que les évêques ariens, quoique depuis près de deux cents ans la religion arienne fût la dominante. C’est un puissant préjugé qu’on m’inquiétait guère les catholiques.

(K) .... elle a péri par la voie de l’autorité. ] Mariana coule doucement sur les rigueurs qu’il fallut que Récarède exerçât, et il les excuse sur ce que la nécessité les demandait, et qu’elles ne déplurent pas aux peuples : Contigit autem Recaredo, quod haud scio an regum ulli, ut religione permutandâ, quod propemodùm necesse erat, motus existerent, sed neque diuturni admodùm neque graves, et severitas animadversionis non modò invidiosa non esset, quia necessariò suscipiebatur, sed etiam popularis et cum bonis omnibus, tum infimo cuique gratissima [3]. L’auteur que j’ai cité ci-dessus remarque que si nous avions les plaintes que tirent les ariens, nous verrions apparemment un fort long détail de violences, et qu’en tout cas, ce n’a été que par accident que l’arianisme a été ruiné sans de rigoureuses persécutions ; car puisque, selon Mariana, les peines ne furent employées que lorsque la nécessité le demandait, il faut conclure, 1°. que si on ne les employa pas très-souvent, c’est parce que les ariens ne furent pas opiniâtres ; 2°. que s’ils avaient fait les difficiles, on les aurait réduits de gré ou de force au point où on les voulait [4]. Cet auteur fait voir en passant [5] une contradiction très-grossière où tombent les écrivains qui se mêlent de parler de conversions. Ils posent pour maxime générale que l’opiniâtreté est le caractère de l’hérésie ; et néanmoins, pour mieux cacher les violences des convertisseurs, ils disent que les conversions se sont faites facilement ; et ils tirent de cette facilité une preuve de l’hérésie des convertis. On ne quitte pas avec tant de facilité, dit-on, la vraie église : la résistance que les ariens firent au roi Récarède fut si faible et si courte, qu’on pouvait bien juger de là même que ce n’était que pour le mensonge qu’on combattait, et non pour la vérité, qui est seule capable de dominer les esprits raisonnables, et leur inspirer de la fermeté [6].

  1. Voyez Trebellius Pollion, dans la Vie de Gallien.
  2. Aux chapitres XXX et XXXI.
  3. Mariana, Hist. Hispan., lib. V, cap. XIV. Consultez le Supplément du Comment. Pbilosophique, pag. 373.
  4. Supplément du Comment. Philosophiq., pag. 375, 376.
  5. Là même, pag. 377.
  6. Thomassin, de l’Unité de l’Église, pag. 449.