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ARNAULD.

son : mais c’eût été un crime alors de refuser un tel juge. On lui députa donc M. Hardiviliers archevêque de Bourges, et M. Habert théologal de l’église de Paris... [1]. Le cardinal ne jugea pas à propos que la compagnie fît rien contre ses lois et ses coutumes. Mais c’était moins le zèle de l’ordre et du règlement qui le faisait agir et parler ainsi, que la connaissance qu’il avait de l’étroite union qui était entre M. Arnauld et M. de St.-Cyran, le dépit de ce ministre de ce que M. Arnauld n’avait point recherché sa protection durant sa licence, et enfin le crédit qu’avait M. l’Escot sur l’esprit du cardinal, son pénitent. Car ce docteur était l’un des deux opposans, et avait pris, comme j’ai remarqué, un grand éloignement de M. Arnauld, par un esprit de jalousie et de vengeance. Il était assurément plus glorieux à M. Arnauld d’être exclus de la société de cette manière, que d’y être reçu comme la plupart des autres. Il y fut néanmoins reçu après la mort du cardinal, la Sorbonne ayant recouvré alors sa liberté, aussi-bien que beaucoup d’autres [2]. M. l’Escot « s’en dédommagea dans la suite, en le faisant exclure, et de la maison de Sorbonne, et de la faculté, par la censure de 1656, dont il fut le promoteur, avec M. le Moine, successeur de sa chaire et de ses sentimens [3]. »

(D) Il publia deux lettres sur une aventure du duc de Liancour, grand ami de Port-Royal. ] Ce duc faisait élever sa petite-fille à Port-Royal, et avait chez lui M. l’abbé de Bourzeys. Il se présenta en 1655, pour la confession, à un prêtre de St.-Sulpice sa paroisse, qui lui déclara qu’il ne lui pouvait donner l’absolution, à moins qu’il ne lui promit de rompre tout commerce avec ces messieurs, de retirer sa petite-fille de Port-Royal, et de congédier de chez lui cet abbé... Cette affaire ayant fait grand bruit dans Paris et par toute la France, M. Arnauld fut prié de faire imprimer une lettre pour la justification de ce seigneur... Un grand nombre d’écrits ayant été publiés contre cette lettre, M. Arnauld se crut obligé de réfuter les faussetés et les calomnies dont ils étaient remplis, en faisant imprimer une seconde lettre, qui répond à neuf de ces écrits [4].

(E) Il fut exclus de la faculté. Il y eut bien des irrégularités dans les procédures. ] « On nomma pour commissaires (à M. Arnauld) ses plus déclarés ennemis, contre qui il avait écrit sur ces matières, et qui étaient connus de tout le monde pour les plus ardens à sa perte, et tout ce qu’il put faire représenter sur cela ne lui servit de rien [5]. Tous les docteurs de la communauté de Saint-Sulpice, continue-t-on, contre qui la lettre de M. Arnauld était écrite, eurent la dureté et l’injustice de demeurer ses juges, nonobstant sa récusation, au lieu qu’il ne leur fallait qu’un peu d’honneur, pour les porter à se récuser eux-mêmes, comme font les honnêtes gens dans les tribunaux même laïques [6]. » On verra plusieurs autres irrégularités, innovations, contraventions à l’ordre toujours observé en ces rencontres, et violemens même de l’équité naturelle, si on lit l’acte de protestation que M. Arnauld fit signer à la faculté [7].

L’ouvrage qui a été publié à Liége l’an 1699, sous le titre de Causa Arnaldina, peut servir d’instruction complète touchant cette procédure des théologiens de Paris, et touchant le fonds du dogme qu’ils censurèrent. On a recueilli dans cet ouvrage plusieurs écrits que M. Arnaud et ses partisans firent imprimer en ce temps-là, pour soutenir la justice de sa cause.

(F) On l’inquiéta à Liége, l’an 1690. ] Six supérieurs s’assemblèrent pour exploiter canoniquement contre lui. Ce furent le gardien des récollets, le gardien des cordeliers, le sous-prieur-vicaire des augustins, le recteur des jésuites, le vicaire des

  1. Histoire abrégée de M. Arnauld, pag. 50.
  2. Là même, pag. 51, 52.
  3. Là même, pag. 33.
  4. Question curieuse, pag. 58 et 59.
  5. Là même, pag. 69, 70.
  6. Ce terme fera rire bien des gens, qui ne croient pas que les tribunaux civils puissent être comparés aux ecclésiastiques, que comme le bon au moins bon.
  7. Il est à la page 71 de la Question curieuse. Voyez dans les Nouvelles de la République des Lettres, mois de juin 1686, art. III, ce que M. de Launoi jugeait de cette censure sorbonique.