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ARNAULD.

l’écolier. Mais il fut lui-même si vivement pressé par l’illustre disputant, qu’il vit bien qu’il n’y avait pas de bonne réponse à lui donner. Il ne lui aurait pas été difficile de se tirer d’affaire par une distinction telle quelle, comme font souvent les professeurs ; mais cela ne s’accommodait pas avec sa sincérité et son amour pour la vérité. Il lui dit donc publiquement et sans façon, qu’il croyait qu’il avait raison, que son sentiment lui paraissait le plus véritable, et qu’il le suivrait lui-même à l’avenir. Il n’y manqua pas ; car environ trois ans après, son même disciple ayant à soutenir en Sorbonne sa tentative pour le baccalauréat, il pria M. Arnauld de lui composer ses thèses. Il le fit, et y mit l’opinion contraire à celle de ses thèses de philosophie [1]. » Il manque dans ce narré une partie essentielle ; on n’y dit point quelle est l’opinion que M. Arnauld avait soutenue, et dont il connut la fausseté par les fortes objections de l’opposant. Suppléons cela, et disons que la thèse que M. de la Barde attaqua était celle-ci. Ens synonimè convenit Deo et Creaturæ [2]. L’auteur du narré juge bien des choses, quand il dit que cette action de M. Arnauld était grande devant Dieu, et rare devant les hommes, et que ce qui vient d’une grande droiture de cœur, d’un amour constant et uniforme de la vérité, d’une grandeur d’âme qui est au-dessus du désir de vaincre et de la crainte d’affaiblir sa réputation... est toujours grand [3] : mais il me semble qu’il traite avec un peu trop de mépris les solutions que l’on peut donner aux argumens de ceux qui soutiennent que l’idée de l’être ne convient pas univoquement à Dieu et aux créatures. J’ai autrefois examiné cette dispute, qui est fort célèbre dans les écoles, et il me parut que ceux qui nient l’univocation de l’être ont pour eux la foule, le grand nombre [4], mais non pas les plus solides raisons ; c’est pourquoi je choisis le sentiment qu’ils combattent. Je l’ai soutenu souvent dans des disputes publiques, et n’ai jamais éprouvé qu’on me proposât aucune objection embarrassante. Ce n’est pas que l’on ne sautât d’abord à l’objection, que Dieu est l’être par excellence, l’être nécessaire, infini, souverainement parfait, au lieu que celui des créatures n’est que précaire. Je ne trouvais aucune force dans cette objection ; car les élémens de la doctrine des universaux nous instruisent, que les idées du genre se séparent entièrement des propriétés spécifiques par la précision de notre esprit. Mais si j’avais su que M. Arnauld, ayant soutenu cette opinion, avait été déterminé par le choc de la dispute à y renoncer, j’aurais soupçonné qu’il y avait là certaines difficultés que je n’avais rencontrées dans aucun des scolastiques espagnols que j’avais examinés. Souvenons-nous qu’on remarque qu’il ne fut point nécessité à changer de sentiment. Cela porte à croire qu’il ne trouva point insoutenable son premier dogme ; mais seulement, que l’analogie de l’être lui parut une meilleure doctrine que l’univocation. Erudito discipulo sub validissimorum argumentorumque mole fatiscente [5], suppetias venit magister, diùque conflictatus, non cedendi necessitate coactus, sed veritate et veritatis amore victus, victum se ultrâ professus est, et à sententiâ suâ discessurum publicè spopondit. Promissis stetit, etc. [6].

(C) M. l’Escot empêcha que M. Arnauld ne fût admis à la société de Sorbonne. ] Il n’y eut que deux docteurs qui ne furent pas favorables à la requête de M. Arnauld. Ils alléguaient contre le sentiment des autres la loi et la coutume, qui voulaient que le cours eût été fait avant la licence : et sur ce différent, qui devait être décidé à la pluralité des voix, ils furent d’avis qu’il en fallait rendre juge le cardinal de Richelieu, proviseur de Sorbonne, ce qui était contre les lois et contre la liberté de la mai-

  1. Histoire abrégée de M. Arnauld, pag. 46.
  2. Præfat. Causæ Arnaldinæ, pag. xviij.
  3. Histoire abrégée de M. Arnauld, pag. 47.
  4. ............. Sed illos
    Defendit numerus, junctæque umbone phalanges.
    Juvenal., Sat. II, vs. 45.

  5. Notez qu’en France, ceux qui président à une dispute ne prennent la parole que lors que leur écolier est à bout. En d’autres pays, ils parlent presque toujours, et à peine lui donnent-ils le loisir de répéter l’argument.
  6. Præfat. Causæ Arnaldinæ, pag. xix.