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ARNAULD.

tement imaginable ; et, se trouvant en train de médire, il n’épargna quoi que ce soit : il se jeta à travers champs à droite et à gauche, pour trouver plus d’occasions de satiriser ; et l’on peut dire de lui, sur le chapitre de la médisance, ce que l’on disait de Voiture sur le chapitre de l’amour : il l’a étendue depuis le sceptre jusqu’à la houlette, depuis la couronne jusqu’à la cale. M. Arnauld ne trouvant pas à propos de se commettre avec un homme qui se servait de telles armes, prit le parti de se taire absolument par rapport aux réformés ; et ainsi, ce que toute la société des jésuites n’avait su imaginer, un seul ministre l’imagina et l’exécuta heureusement : je parle du secret de faire taire ce docteur. Ce n’est pas le seul avantage que l’auteur de l’Esprit de M. Arnauld ait retiré de cette satire : il imprima une telle crainte à cent auteurs qui auraient voulu l’attaquer, et à une infinité d’autres personnes à qui il aurait pu se rendre désagréable, qu’ils n’ont osé s’attirer son indignation. Cela ne doit pas tant surprendre ; car enfin, il y a peu de familles à qui l’on ne puisse reprocher quelque aventure [1], ou qui n’ait des ennemis assez malicieux pour l’attaquer par quelque bon conte, lorsqu’on sait à qui s’adresser pour le faire mettre sous la presse impunément. L’Esprit de M. Arnauld semblait promettre l’impression à toutes les historiettes scandaleuses qu’on enverrait par la poste, soit qu’elles regardassent un simple particulier, comme le prêtre Soulier ; soit qu’elles regardassent un secrétaire d’état, comme feu M. Colbert.

Je sais qu’un jeune janséniste, considérant l’effet de cette satire, comparait M. Arnauld à l’ancienne ville de Troie, dont les plus braves guerriers, ni mille vaisseaux, ne purent venir à bout, et qui succomba par les ruses d’un transfuge, et par un cheval de bois.

Talibus insidiis perjurique arte Sinonis
Credita res, captique doli....
Quos neque Tydides nec Larissæus Achilles,
Non anni domuêre decem, non mille carinæ [2].

Il est vrai, ajoutait-il, que cette comparaison cloche, car l’Esprit de M. Arnauld n’est point semblable au cheval de bois, où l’on enferma les principaux capitaines de l’armée [3] ; il ressemble à ces vaisseaux qui, par le conseil d’Annibal, furent pourvus de pots de terre remplis de serpens. Voyez Cornélius Népos, dans la vie de ce capitaine carthaginois.

(H) On l’a mis de l’assemblée de Bourg-Fontaine. ] L’abus de Dupleix à l’égard du père n’est rien en comparaison de la fausseté que M. Filleau, avocat du roi au présidial de Poitiers, publia touchant le fils en l’année 1654 ; car il n’y a nul lieu de douter, qu’il n’ait mis M. Arnauld au nombre de sept docteurs de l’assemblée de Bourg-Fontaine [4]. Voici ce que c’est en peu de mots. M. Filleau, publiant en 1654 une relation juridique de ce qui s’était passé à Poitiers au sujet de la nouvelle doctrine de Jansénius, exposa qu’un ecclésiastique lui avait dit que, dans une conférence que sept personnes eurent à Bourg-Fontaine, l’an 1621. il fut délibéré des moyens d’anéantir le christianisme ; que cet ecclésiastique était l’un des sept personnages ; qu’il avait rompu quelque temps après avec les six autres, dont il ne restait qu’un en vie, et qui étaient (J. D. V. D. H.) (C. J.) (P. C.) (P. C.) (A. A.) (S. V.). Par de certaines circonstances dont ce récit est accompagné, et par le caractère de certains livres qu’on fait entendre n’avoir été publiés qu’en exécution des engagemens de Bourg-Fontaine, tout le monde a cru que les lettres du premier nom désignaient Jean du Verger de Hauranne, abbé de Saint-Cyran ; que celles du second désignaient Corneille Jansénius, évêque d’Ipres ; que celles du troisième désignaient Philippe Cospean, docteur de Sorbonne, évêque de Nantes, et puis de Lisieux ; que celles du quatrième désignaient Pierre Camus, évêque de Belley ; que celles du cinquième désignaient Antoine Arnauld, dont nous parlons

  1. Les Espagnols ont ce proverbe, No ay generacion, do no aya puta ò ladron.
  2. Virgil., Æneïd., lib. II, vs. 195.
  3. Hùc delecta virùm sortiti corpora furtìm
    Includunt cæco lateri, penitùsque cavernas
    Ingentes, uterumque armato milite complent.
    Virgil., Æneid., lib. II, vs. 18.

  4. C’est une chartreuse à 16 ou 17 lieues de Paris.