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ARNAULD.

dans cet article ; et que celles du sixième désignaient Simon Vigor, conseiller au grand conseil. M. Filleau assure qu’il fut résolu dans cette assemblée d’attaquer les deux sacremens les plus fréquentés par les adultes, qui sont celui de la pénitence, et celui de l’eucharistie ; et le moyen d’y parvenir fut ouvert par l’éloignement que l’on en procurerait, non en témoignant aucun dessein de faire en sorte qu’ils fussent moins fréquentés, mais en rendant la pratique si difficile, et accompagnée de circonstances si peu compatibles avec la condition des hommes de ce temps, qu’ils restassent comme innaccessibles, et que dans le non usage, fondé sur ces belles apparences, on en perdît peu à peu la foi. Le public a cru que cela s’adressait à M. Arnauld, à cause de son livre de la Fréquente communion, et qu’ainsi M. Filleau n’entendait que lui, par le cinquième de ces dangereux conspirateurs contre la religion chrétienne, marqué (A. A.) [1].

Comme il ne s’agit pas ici d’examiner la vérité ou la fausseté de cette conspiration, je me contenterai de dire que M. Arnauld traita cela d’un des plus grands excès de calomnie qu’on ait jamais vus, et qu’en particulier il se justifia invinciblement de l’accusation qu’on lui avait intentée, de s’être trouvé à la conférence de ces déistes [2] ; car il fit voir, qu’étant né en 1612 il n’avait que neuf ans lorsqu’on prétendait qu’elle s’était tenue. Cette justification est si forte, que non-seulement le silence du dénonciateur, mais aussi l’aveu formel d’un de ses amis, fit connaître qu’on n’avait rien à y répliquer. Le père Meynier, prétendant d’ailleurs que la relation de M. Filleau touchant la conférence de Bourg-Fontaine ne contenait rien qui ne fût très-positif, avoua que M. Arnauld avait donné des preuves convaincantes qu’il n’était pas de cette assemblée ; mais il se trompe, ajouta-t-il, en ce qu’il croit que par ces A. A. on entend Antoine Arnauld. Je lui dis de la part de l’auteur de la relation juridique, que ces lettres désignent un autre qui est encore en vie, et qui est trop bon ami de M. Arnauld pour lui être inconnu [3]. M. Pascal, qui travaillait alors aux Provinciales, pressa vivement les jésuites de nommer le délateur secret de la conférence, les six docteurs qui y avaient assisté, et en particulier celui qui était désigné par les lettres A. A., et qui, n’étant point M. Arnauld, était trop de ses amis pour ne lui être pas connu ; mais on laissa tomber ces sommations, et ce n’est que depuis quelques années, qu’un jésuite d’Anvers fort célèbre, a déclaré au public que cet ami de M. Arnauld était son propre frère Arnauld d’Andilli [4]. On a réfuté cela. Voyez la remarque (B) de l’article Arnauld d’Andilli.

(I) On l’a fait aller au sabbat. ] Je ne sais à laquelle des deux assemblées M. Arnauld aurait mieux aimé se trouver, ou à celle de Bourg-Fontaine, ou à celle dont feu M. de Maupas, évêque d’Évreux, a quelquefois parlé. Il est certain qu’il a assuré à plusieurs personnes, qu’il avait appris d’un sorcier converti, qu’il avait vu au sabbat M. Arnauld et une princesse du sang [5], et que M. Arnauld y avait fait une fort belle harangue aux diables [6]. S’il eût fallu choisir entre ces deux extrémités, et si la harangue n’eût tendu qu’à exciter les démons à quelque sorte d’amendement de vie, je ne doute pas que ce docteur n’eût mieux aimé avoir harangué au sabbat, qu’avoir opiné dans la chartreuse de Bourg-Fontaine à l’abolition du christianisme, et à la propagation du déisme.

Ce serait abuser de la patience de mes lecteurs, que de les avertir du ridicule de l’historiette que ce prélat a racontée à plusieurs personnes, et c’est une de ces faussetés que M. Ar-

  1. Le IVe. factum pour les parens de Jansénius, pag. 11 et 12, montre que c’est lui qu’on a désigné dans la Relation juridique.
  2. Dans sa Lettre à un duc et pair, en 1655. Voyez aussi la Ire. partie du IVe. factum des parens de Jansénius.
  3. Le père Meynier dans le livre intitulé, Le Port-Royal et Genève d’intelligence contre le S. Sacrement de l’Autel, imprimé à Poitiers, en 1656.
  4. Le père Hazart, dans sa Réponse au factum pour les parens de Jansénius. Voyez l’Hist. des Ouvrages des Savans, février 1688, et la IIe. partie du IVe. factum des parens de Jansénius, pag. 2.
  5. C’est apparemment la feue duchesse de Longueville.
  6. IVe. factum des parens de Jansénius, pag. 2.