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ARNAULD.

laissons à part tout ce que le factum de M. Des-Lyons nous aurait pu fournir contre lui. Il y a bien des mensonges de préface qui passent pour des péchés véniels, non-seulement dans les barreaux de la république des lettres, mais aussi dans les barreaux de l’église : celui-ci doit être exclus de ce privilége dans l’un et dans l’autre de ces tribunaux. Les jésuites n’ont pas laissé tomber le factum de M. Des-Lyons : ils en ont pesé malignement les circonstances, et ils en ont tiré le sujet de beaucoup de réflexions et de railleries. Voyez un ouvrage qu’on croit être du père le Tellier, et qui parut l’an 1688. En voici le titre : Lettre apologétique pour M. Arnauld, écrite à un abbé de ses amis, sur trois des derniers livres qui ont été faits contre ce docteur : 1o. l’Esprit de M. Arnauld. 2o. Observations sur la nouvelle Défense de la Version française du Nouveau-Testament, imprimé à Mons. 3o. Réponse de M. Des-Lyons, docteur de Sorbonne, doyen et théologal de Senlis, aux lettres de M. Arnauld.

(AA) Les vers de M. Santeuil sur de cœur de M. Arnauld excitèrent une guerre fort violente. ] Les dames de Port-Royal des Champs reçurent le cœur de M. Arnauld avec les transports qu’on se peut imaginer, et le placèrent dans le lieu le plus honorable qu’il leur fut possible. Le cœur étant placé, il fut question d’une épitaphe. On crut ne pouvoir mieux s’adresser pour cela qu’à M. Santeuil..…. Comme l’affaire était délicate, les religieuses crurent devoir prendre M. Santeuil à leur avantage. Pour cela, elles l’invitèrent à venir passer quelques jours à Port-Royal, avec un de ses confrères, qui en était supérieur [1], et, durant le séjour qu’il y fit, il composa les vers suivans :

Ad sanctas rediit sedes ejectus et exul :
Hoste triumphato, tot tempestatibus actus,
Hoc portu in placido, hâc sacrâ tellure quiescit
Arnaldus, veri defensor, et arbiter æqui.
Illius ossa memor sibi vindicet extera tellus ;
Huc cœlestis amor rapidis cor transtulit alis,
Cor numquàm avulsum, nec amatis sedibus absens [2].


M. de la Fémas en fit cette traduction française :

Enfin, après un long voyage,
Arnauld revient en ces saints lieux »
Il est au Port, malgré les envieux,
Qui croyaient qu’il ferai naufrage.
Ce martyr de la vérité
Fut banni, fut persécuté,
Et mourut en terre étrangère,
Heureuse de son corps d’être dépositaire !
Mais son cœur toujours ferme, et toujours innocent,
Fut porté par l’amour, à qui tout est possible,
Dans cette retraite paisible,
D’où jamais il ne fut absent [3].

Dés que ces deux pièces, imprimées ensemble, eurent été répandues dans le monde, les jésuites firent faire des reproches à M. Santeuil sur son procédé... Il fit la sourde oreille, se flattant que tous les murmures qui s’élevaient alors se dissiperaient d’eux-mêmes insensiblement [4]. Mais lorsqu’il vit fondre sur lui une pièce envoyée de province [5]...... il prit les voies de satisfaction. « Il en fut frappé comme d’un coup de foudre, et accourut aussitôt au collège des jésuites, demandant miséricorde, avec les termes du monde les plus humbles et les plus touchans ; conjurant tous ceux qu’il rencontrait de ne le point perdre ; qu’il avait toujours été ami de la société ; et que l’épitaphe en question n’était point de lui, mais qu’elle avait été supposée par ses ennemis pour le brouiller avec les jésuites. On lui dit qu’on souhaitait que ce qu’il avançait fût vrai, mais que ce désaveu simple ne suffisait pas, et qu’il fallait détromper le public par un désaveu authentique qu’on lui demandait pour gage de sa sincérité. Il promit tout ce qu’on voulut ; mais l’embarras fut d’effectuer sa promesse [6]. » Le panégyrique imposant et flatteur qu’il fit de leur compagnie ne servit de rien [7]. Ils s’aperçurent « du tour de souplesse dont il s’était servi pour esquiver la difficulté : ils le traitèrent d’homme double et de mauvaise foi ; il se vit, en moins de rien, inondé d’épigrammes qui venaient fondre sur

  1. Histoire des Troubles causés par M. Arnauld après sa mort ; ou le Démêlé de M. Santeuil avec les jésuites, pag. 5, édit. de 1696.
  2. Là même, pag. 40.
  3. Là même, pag. 41.
  4. Là même, pag. 7.
  5. Intitulée Santobius vindicatus.
  6. Histoire des troubles causés par M. Arnauld après sa mort, pag. 9.
  7. Là même, pag. 10.