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ARNAULD.

Clément X, ayant lu quelques ouvrages de M. Arnauld, les loua extrêmement, et déclara que l’auteur lui ferait beaucoup de plaisir si lui en envoyait un exemplaire, ou s’il le faisait donner à son nonce [1]. Le cardinal Altiéri, qui avait fait voir ces Lettres au pape, ne pouvait assez les louer, et finit vingt fois ses éloges par ce témoignage honorable : « M. Arnauld a rendu de très-grands services à l’Église : il serait à souhaiter que la mort ne lui enlevât jamais un si grand homme. » De ecclesiâ optimè meritus est Arnaldus : optandum esset ut talem ac tantum virum mors illi nunquàm ereptura esset [2]. L’estime et l’affection d’Innocent XI pour ce docteur ont été connues du public. Voyez la lettre qu’il lui fit écrire par le cardinal Cibo, le 2 de janvier 1677 : elle est à la fin de la lettre que M. Arnauld écrivit à M. l’évêque de Malaga, le 2 de décembre 1688. On a une lettre de M. Favoriti, secrétaire de ce pape, datée de Rome le 3 d’avril 1680, où l’on voit de grands éloges et de fortes marques de la douleur qu’avait ce pontife de la persécution qui était faite à M. Arnauld [3]. Il eut envie de l’élever à la pourpre, et il ne tint qu’au docteur que cela ne s’exécutât. De Arnaldo in purpuratorum procerum ordinem ad legendo aliquandò Sanctitatem suam cogitasse, etsi certum est et pluribus notum, nollem tamen hìc commemorare, nisi eminentissimus cardinalis, intimorum Romanæ Aulæ consiliorum testis locuples, id nuper Parisiis evulgâsset, asseruissetque per unum Arnaldum stetisse quominùs is eminentissimâ illâ dignitate ornaretur [4]. Alexandre VIII, qui avait eu, avant qu’il fût pape, beaucoup d’amitié et d’estime pour M. Arnauld, ne changea point de dispositions depuis qu’il fut élevé sur la chaire de saint Pierre. Il lui accorda quelques grâces, et il lui en aurait accordé bien d’autres, s’il eût vécu plus long-temps, ou si M. Arnauld lui en eût fourni les occasions [5].

Notez que l’évêque de Malaga fit brûler presque tous les exemplaires de la première édition de sa Querimonia Catholica, dès qu’il eut su que, sans son consentement, on y avait donné la qualité d’hérétique à M. Arnauld. Celui qui brûla de ses propres mains les exemplaires en a donné une attestation en forme [6].

(Z) On trouve qu’il s’écarta un peu de la voie étroite, dans l’affaire qui donna lieu à un factum de M. Des-Lyons. ] Une nièce de M. Des-Lyons, docteur de Sorbonne, et doyen de Senlis, fut assez adroite pour engager M. Arnauld à des démarches qui ne lui font point d’honneur. Elle plaidait contre son père ; il la protégea dans ce procès autant qu’il put. Cela n’est point d’un casuiste rigide. Outre cela, c’était une fille si bizarre dans ses dévotions, et si mal tournée, que M. Arnauld fut mal servi de la faculté qu’on nomme discernement des esprits, lorsqu’il se laissa tromper par cette hypocrite. M. Jurieu, qui avait ouï parler du factum de M. Des-Lyons, souhaita passionnément d’en avoir un exemplaire, et le fit demander plusieurs fois à une personne qui aurait pu le lui fournir. Il employa principalement l’intercession du libraire qui imprimait à la Haye, l’an 1685, sa Justification de la Morale des Réformés [7]. C’était fort bien s’adresser, car si quelqu’un pouvait obtenir cela, c’était sans doute ce libraire ; mais le possesseur du factum ne voulut jamais s’en dessaisir en faveur d’un écrivain qu’il connaissait disposé à tirer de là une nouvelle matière d’insultes et d’invectives. Il savait de quelle manière cet auteur empoisonnait toutes choses quand il s’agissait de déchirer M. Arnauld. Or, prenez garde, je vous prie, à ce petit tour de souplesse. M. Jurieu, ayant manque ce coup-là, voulut persuader au public qu’il ne s’était point soucié de cet avantage, et qu’il avait été assez modéré pour y renoncer volontairement : Et même, ce sont ses paroles [8], pour faire voir au public que nous ne recherchons pas avec grand soin ce qui serait capable de rendre M. Arnauld odieux, nous

  1. Prefat. Causæ Arnaldinæ, pag. lix.
  2. Ibidem, pag. lx.
  3. Ibidem.
  4. Ibidem, pag. lx.
  5. Ibidem, pag. lxj, lxij.
  6. Ibid., pag. lxiv.
  7. Il est plein de vie : on peut s’informer de lui si je dis la vérité. J’écris ceci le 2 d’avril 1699.
  8. Jurieu, préface de la Justification de la Morale des Réformés, édition de la Haye, en 1685.