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ARNOBE.

modernes. Quand on ne peut pas estimer les anciens, on se croit du moins obligé à les aimer, et à donner, par un jugement de charité chrétienne, la plus favorable interprétation que l’on peut à leurs paroles. Au contraire, l’on se pare et l’on se fait honneur d’un zèle enflammé contre ses contemporains : on ne leur passe rien, et, à leur égard, on est prodigue d’anathèmes. Il semble pourtant que l’intérêt de la religion étant conservé, la charité devrait plutôt s’exercer envers les vivans, qu’envers les morts qui sont morts depuis plusieurs siècles. La charité que l’on a pour ces derniers, ne coûte guère, parce que leur mérite n’excite pas notre jalousie et notre envie, et que nous ne les regardons pas comme nos concurrens ; mais pour juger charitablement d’un adversaire qui parle et qui écrit contre nous, et dont la réputation offusque notre gloire, il faut un peu mortifier l’amour-propre ; et c’est un sacrifice que l’on ne fait pas facilement. Comme M. Jurieu n’a pas eu de querelle avec Origène, et qu’il a des ennemis personnels dans le parti socinien, il ne faut pas s’étonner s’il a plus de tolérance pour celui-là que pour ceux-ci [1].

(D) Son ouvrage contient sept livres, et non pas huit, comme on l’a cru pendant quelque temps. ] Tout le monde sait que le petit livre de Minucius Felix a pour titre Octavius. On le trouve joint avec les livres d’Arnobe dans plusieurs anciens manuscrits. C’est ce qui a été cause qu’il a passé pour un ouvrage d’Arnobe ; et sans doute le mot Octavius, pris pour octavus, a fait illusion à bien des lecteurs. Citons ces paroles de M. du Pin. « Ce livre [2] a passé long-temps pour le huitième livre d’Arnobe ; car ayant été trouvé avec les sept livres d’Arnobe dans un ancien manuscrit de la bibliothéque du Vatican. Il fut imprimé quatre fois sous ce nom [* 1], sans que personne reconnût son véritable auteur. Le savant jurisconsulte Baudouin s’aperçut le premier de cette erreur vulgaire, et fit imprimer, l’an 1560, à Heidelberg, ce petit traité séparé, avec une savante préface, dans laquelle il le rend à son véritable auteur. Or, quoiqu’on doive à ce célèbre jurisconsulte l’honneur d’avoir fait le premier cette découverte, cependant trente-trois ans après, Urfin, faisant imprimer à Rome les ouvrages d’Arnobe, soit qu’il n’eût pas vu l’édition de Baudouin, soit qu’il voulût se faire honneur de cette remarque, sépara le livre de Minutius d’avec ceux d’Arnobe, sans avertir que cela eût été fait avant lui, se donnant ainsi tout l’honneur de cette découverte [3]. » On trouve la même chose dans la préface du Minutius Félix imprimé à Leyde l’an 1652 [4]. On y trouve aussi, que presque dans le même temps que Francois Baudoüin fit voir que le prétendu huitième livre d’Arnobe était l’ouvrage de Minucius Félix, un autre critique eut quelque soupçon de la bévue. Eodem ferè tempore id ipsum suboluit etiam Hadriano Junio [5]. Cela n’est point exact : il faut dire que François Baudouin n’est pas le premier qui l’ait découverte ; car il ne publia ce qu’il savait là-dessus, que quatre ans après qu’un autre eut communiqué cette pensée au public. Son Minutius parut l’an 1560. Or voici ce que l’on trouve dans un ouvrage qu’Hadrien Junius fit imprimer l’an 1556. Arnobio qui septem duntaxat adversùm gentes libros edidit, octavus accrevit, quùm sit Minutii Felicis, Octavius ab interlocutorum uno ità vocitatus, novâ ratione obliterandi auctoris [6]. L’année suivante Baudouin n’était pas guéri de l’erreur commune ; car il cita comme le VIIIe. livre d’Arnobe le Traité de Minutius. Sic ille apud Arnobium Cecilius christianos dictitat, cùm coëunt, infantis occisi sanguinem lambe-

  1. (*) La première, par Sabæus, sur le manuscrit de Rome, l’an 1542 ; la seconde en Allemagne, par Gelenius ; la troisième en Hollande, à Leyden, en 1552 ; le quatrième, à Bâle, par Érasme, en 1560.
  1. Saurin, Examen de la Doctrine de M. Jurieu, 687.
  2. C’est-à-dire celui de Minutius Félix.
  3. Du Pin, Bibliothéque des Auteurs ecclés., tom. I, pag. 119, col. 2.
  4. Cette préface est de Jacques Ouzelius.
  5. Jacques Ouzelius, in præfatione Minutii Felicis.
  6. Hadrianus Junius, Animadvers., lib. VI, cap. I.