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ARNOBE.

Voici le jugement de M. du Pin. « Il paraît qu’il n’était pas encore tout-à-fait instruit des mystères de notre religion. Il attaque avec beaucoup plus d’adresse la religion des païens, qu’il ne défend celle des chrétiens. Il découvre plus heureusement la folie du paganisme, qu’il ne prouve solidement la vérité du christianisme. Mais il ne faut pas s’en étonner ; car c’est l’ordinaire de tous les nouveaux convertis, qui, étant encore pleins de leur religion, en connaissent mieux les défauts, et la faiblesse, qu’ils ne savent les preuves et l’excellence de celle qu’ils embrassent [1]. » Je ne vois personne qui parle aussi faiblement des erreurs d’Arnobe, que M. Cave. Il dit que peut-être ce sont des doctrines un peu éloignées de la vraie foi. Dogmata quædam habet forsan minùs catholica, quæ homini à gentilium tenebris recens erumpenti et nondùm christianæ fidei elementis satis instructo condonanda sunt [2]. C’est pousser la tolérance beaucoup plus loin qu’on ne l’a fait dans la préface de l’édition de Leyde en 1651, où l’on se contente de dire qu’Arnobe s’écarte un peu de l’orthodoxie. Aliis in locis à veritate christianâ nonnihil recedit, sed hoc condonandum illi qui ex Ethnicismi tenebris recens ad veritatem christianam pervenerat. Idem huic autori evenit, quod iis solet, qui ex carcere tenebricoso in lucem perducti visum adhuc dubium habent [3]. Encore un coup, excusons ce père ; mais ne soyons pas assez simples, pour qualifier obligeamment petites erreurs les dogmes qu’il a débités. Ils méritent, quand on les considère en eux-mêmes, tous les mêmes titres qu’on leur donnerait aujourd’hui, si quelque docteur les avançait. Il faut convenir sans chicane, qu’un auteur moderne avait fait là-dessus de bonnes leçons à son censeur. Écoutons-le. M. Jurieu pèse les erreurs à une fausse balance. Il juge de la doctrine par les personnes, et non pas des personnes par la doctrine. Une même erreur change de nature selon les lieux et les temps : elle est une monstrueuse hérésie, selon le sujet où elle se trouve, et selon le siècle où elle règne. On voit des preuves de cette iniquité de M. Jurieu dans toutes ses disputes contre les sectaires d’aujourd’hui, auxquels il ne pardonne rien, pendant qu’il porte l’indulgence et la tolérance pour les pères jusqu’à un excès prodigieux.…... [4]. Le respect, que nous avons pour les personnes, ne doit pas nous faire respecter leurs erreurs, quand elles sont capitales. Dans une semblable occasion, on doit appeler scapham scapham, et ligonem ligonem. M. Jurieu veut bien excuser les erreurs d’Origène, à cause de son grand zèle ; mais si quelqu’un nous venait aujourd’hui débiter les rêveries de cet ancien, M. Jurieu ne se croirait obligé à aucun support. Si ces rêveries sont des hérésies et des impiétés, qui changent l’enfer en un purgatoire, et qui anéantissent par ce moyen la crainte des peines éternelles, et la crainte de Dieu, pourquoi les doit-on supporter dans Origène ?..... [5]. La mollesse avec laquelle M. Jurieu parle des erreurs de saint Hilaire et de saint Jérôme, n’est assurément pas édifiante. Il les excuse, et dit que ce sont des bévues et des négligences. Mais si un théologien de ce siècle s’allait mettre dans l’esprit de soutenir les mêmes opinions, M. Jurieu se croirait obligé de les appeler des extravagances et des impiétés. Quelle iniquité criante ! Les mêmes choses, qui sont des extravagances et des impiétés dans notre siècle, ne sont que des bévues et des négligences excusables au IVe. siècle. Pourquoi cela [6] ? Cet auteur prétend connaître la source de ce double poids. Écoutons-le encore. M. Jurieu leur pardonne, comme des fautes fort légères et fort minces, des erreurs qui, dans les gens de notre siècle, sont des hérésies infernales. On se pique ordinairement d’un profond respect et d’une haute estime pour ceux qui ont le bonheur de vivre plusieurs siècles avant nous, quoique l’on voie en eux toutes les faiblesses et toutes les mauvaises qualités que l’on ne peut pas souffrir dans les

  1. Du Pin, Bibliothéque des Auteurs ecclés., tom. I, pag. 204, col. 2, édition de Hollande.
  2. Gulielmus Cave, Historiæ Litterariæ pag. 112.
  3. Præfat. Arnobii, in edit Lugd. Bat. ann. 1651.
  4. Saurin, Examen de la Doctrine de M. Jurieu, pag. 681.
  5. Là même, pag. 683.
  6. Là même, pag. 684.