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ANAXAGORAS.

Quàm Anaxagoræ turbata sententia est ! initium enim omnium commentatus animum, universitatis oscillum de illius axe suspendens, purumque eum adfirmans, et simplicem et incommiscibilem, hoc vel maximè titulo segregat ab animæ commistione, et tamen eundem alibì animæ addicit [1]. Aristote avait déjà fait cette remarque : Ἀναξαγόρας δὲ ἧττον διασαϕεῖ περὶ αὐτῶν· πολλαχοῦ μὲν γὰρ τὸ αἴτιον τοῦ καλῶς καὶ ὀρθῶς, τὸν νοῦν λέγει· ἑτέρωθι δὲ, τὸν νοῦν εἶναι τὸν αὐτὸν τῇ ψυχῇ· ἐν ἅπασι γὰρ ὑπάρχειν αὐτὸν τοῖς ζώοις, καὶ μεγάλοις, καὶ μικροῖς, καὶ τιμίοις καὶ ἀτιμιωτέροις. Οὐ ϕαίνεται δὲ ὅ γε κατὰ ϕρόνησιν λεγόμενος νοῦς, πᾶσιν ὁμοίως ὑπάρχειν τοῖς ζώοις, ἀλλ᾽ οὐδὲ τοῖς ἀνθρώποις πᾶσιν [2]. Anaxagoras autem minus de ipsis explanat : multis enim in locis boni rectique mentem causam esse dicit : alibi autem animam ipsam mentem esse asserit : nam animalibus universis, tam parvis quàm magnis, tam prestabilibus quàm minùs etiam præstabilibus, mentem inesse dicit. At ea mens tamen, et intellectus, cui prudentia tribuitur, non universis similiter animalibus, quin etiam neque cunctis hominibus inesse videtur. Ce passage d’Aristote nous apprend qu’Anaxagoras admettait dans toutes les bêtes une âme, à laquelle il donnait le même nom d’entendement qu’il avait donné au premier moteur de la matière, et à l’ordonnateur de la construction du monde. Le même Aristote observe qu’Anaxagoras employait une intelligence à la production des choses, comme un Dieu de machine, c’est-à-dire, qu’il ne recourait à cela que dans les cas de nécessité, et lorsque toutes les autres raisons lui manquaient : Ἀναξαγόρας τε γὰρ μηχανῇ χρῆται τῷ νῷ πρὸς τὴν κοσμοποιίαν· καὶ ὅταν ἀπορήσῃ διὰ τίν᾽ αἰτίαν ἐξ ἀνάγκης ἐςί, τότε ἕλκει αὐτόν. ἐν δὲ τοῖς ἄλλοις πάντα μᾶλλον αἰτιᾶται τῶν γινομένων ἢ νοῦν [3]. Nam et Anaxagoras, tanquàm machinâ utitur intellectu ad mundi generationem. Et cùm dubitat propter quam causam necessariò est, tunc eur attrahit. In cæteris verò, magis cætera omnia, quam intellectum, causam eorum, quæ fiunt, ponit. Voilà sans doute le fondement d’une observation de Clément Alexandrin, qu’Anaxagoras n’a point maintenu les droits et la dignité de la cause efficiente, dont il avait attribue les fonctions à un esprit ; car il a parlé de certaines révolutions qui se faisaient sans que cet esprit en sût rien, sans que cet esprit y coopérât. C’est, si je ne me trompe, le vrai sens des termes grecs de ce père de l’Église. Ἀναξαγόρας πρῶτος, dit-il [4], ἐπέςησε τὸν νοῦν τοῖς πράγμασιν· ἀλλ᾽ οὐδὲ οὗτος ἐτήρησε τὴν ἀξίαν τὴν ποιητικήν, δίνους τινὰς ἀνοήτους ἀναζωγράϕων, σὺν τῇ τοῦ νοῦ ἀπραξίᾳ τε καὶ ἀνοίᾳ. Primus Anaxagoras mentem rebus adhibuit. Sed nec ille dignitatem servavit efficientem, nescio quas amentes describens revolutiones cum mentis ab agendo cessatione et amentiâ. Eusèbe, sans doute, a copié ce passage, lorsqu’en lui donnant un autre tour il a dit qu’Anaxagoras ne conserva point sain et sauf le dogme qui préposait une intelligence à la production des choses : Λέγεται δὲ μηδε οὗτος σῶον ϕυλάξαι τὸ δόγμα· ἐπιςήσαι μὲν γὰρ τὸν Νοῦν τοῖς πᾶσι, οὐκέτι δὲ κατὰ νοῦν καὶ λογισμὸν τὴν περὶ τῶν ὄντων ἀποδοῦναι τὴν ϕυσιολογίαν [5]. Verumtamen ne ipse quidem sanum illud suum dogma retinuisse fertur. Mentem enim cunctis ità præfecisse, ut tamen de rerum naturâ ex mentis rationisque regulâ minimè disputaret. Il le prouve par cette raison, c’est qu’Anaxagoras philosophait sur la nature, et expliquait les phénomènes, sans supposer cette intelligence. Je sais bien qu’on me pourra dire qu’Eusèbe n’entend pas ainsi la chose, et qu’il déclare seulement qu’Anaxagoras donnait des raisons physiques qui étaient contraires au bon sens. Mais trois choses me persuadent que mon interprétation de Clément Alexandrin et d’Eusèbe est meilleure que celle-là. En premier lieu, c’est très-mal prouver qu’un philosophe abandonne ou énerve l’hypothèse de la providence, et de l’activité universelle de Dieu, que de dire qu’il raisonne quelquefois impertinemment, sottement, ou contre les

  1. Tertullian., de Animâ.
  2. Aristoteles, de Animâ, lib. I, cap. II, pag. 478, G.
  3. Idem, Metaphys., lib. I, cap. IV, pag. 646, H.
  4. Clem. Alexandr. Stromat., lib. II, pag. 364.
  5. Eusebii Præpar, Evangel., lib. XIV, cap. XIV, pag. 750.