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ARTABAN II.

cause, dit-il, qu’Artaban abandonna l’Arménie. Abus, mais abus incomparablement plus excusable que celui où cet écrivain est tombé après M. Lloyd et Charles Étienne, en disant qu’Artaban, grand ennemi de Tibère, se saisit de l’Arménie, et fut tué par un soldat persan nommé Artaxerxés, depuis lequel il n’y a point eu de rois des Parthes, mais des rois des Perses. Anachronisme prodigieux ! Voyez l’article d’Artaban IV.

(C) Sans aucun égard pour Tibère,.… il s’empara de l’Arménie. ] On ne peut pas être plus insulté que le fut cet empereur par Artaban, qui n’eut pas plus tôt aperçu que son invasion de l’Arménie était une injure dont Tibère ne se vengeait pas, qu’il attaqua la Cappadoce [1]. Mais que peut-on voir de plus terrible que les lettres qu’il lui écrivit ? Écoutons Suétone. Quinet Artabani Parthorum regis laceratus est litteris, parricidia et cœdes et ignaviam et luxuriam objicientis, monentisque ut voluntariâ morte maximo justissimoque civium odio quamprimùm satisfaceret [2]. Il y avait là quelque chose de personnel ; car, du reste, Artaban en usa le plus honnêtement du monde, et même fort humblement envers le successeur de Tibère. Écoutons encore Suétone : Artabanus Parthorum rex odium semper contemptumque Tiberii præ se ferens, amicitiam Caligulæ ultrò petiit, venitque ad colloquium legati consularis, et transgressus Euphratem aquilas et signa romana Cæsarumque imagines adoravit [3]. Dion remarque que Vitellius avait obligé Artaban à sacrifier à la statue d’Auguste et à celle de Caligula, et à donner en otages ses enfans, après avoir consenti au traité de paix qu’il lui prescrivit [4]. Cela montre que Josephe s’est abusé lorsqu’il a cru que l’entrevue de Vitellius et d’Artaban, et tout ce qui en résulta, arriva sous Tibère [5]. Ce fut à Tibère, selon lui, que Darius, fils d’Artaban, fut envoyé en otage, avec de riches présens, et avec un géant, Juif de nation, qui se nommait Éléazar, et qui avait sept coudées.

(D) Il donna l’Arménie à Arsaces son fils aîné. ] C’est ainsi que Tacite et Dion le nomment. Josephe le nomme Orode [6] : il a confondu l’un des enfans d’Artaban avec l’autre. Celui qui se nommait Orode ne fut point roi d’Arménie ; mais il y fut envoyé pour venger la mort d’Arsaces, son frère aîné, et il y pensa mourir à la peine ; car s’étant battu corps à corps avec Pharasmane, roi d’Ibérie, durant la bataille, il fut bien blessé, mais non pas tué, comme le bruit en courut sur l’heure, au grand préjudice des Parthes [7], et comme Josephe l’a depuis assuré dans ses Antiquités judaïques [8].

(E) Il mourut … par le crime de Gotarze, son fils, ou son frère. ] La manière dont l’exact M. de Tillemont s’est exprimé est trompeuse, Artabane mourut bientôt après, dit-il [9], par le crime de Gotarze, son frère, selon Tacite, ou plutôt son fils, comme l’assure Josephe. Il n’y a personne qui, en lisant ces paroles, ne s’imagine que Josephe dit que Gotarze fit mourir son père Artaban. Néanmoins il ne le dit pas : il parle d’Artaban comme d’un homme qui mourut de maladie ; il lui fait succéder Varadan, son fils, et à celui-ci Gotarze, autre fils d’Artaban. Chose étrange, que Tacite et Josephe conviennent si peu, dans des circonstances Capitales, sur des choses si voisines de leur temps ! celui-ci donne à Artaban une mort paisible et plusieurs fils ; l’autre le fait périr avec sa femme et son fils, par le crime de son frère, ce qui semble signifier qu’Artaban n’avait qu’un fils. On ne sait de quel côté se ranger, vu que Tacite n’est guère exempt de contradiction. D’abord il pose que Gotarze était frère d’Artaban ; mais peu après il le fait frère de Bardanes, et il insinue très-clairement que Bardanes était fils d’Artaban ; car il le représente fort en colère contre ceux de Séleucie, tant

  1. Dio, lib. LVIII, sub fin.
  2. Sueton., in Tiberio, cap. LXVI.
  3. Idem, in Caligulâ, cap. XIV.
  4. Dio, lib. LIX.
  5. Joseph., Antiquit., lib. XVIII, cap. VI.
  6. Id., ibid., cap. III.
  7. Fama occisi falsò credita exterruit Parthos, victoriamque concessêre. Tacit., Annal., lib. VI, cap. XXXV.
  8. Joseph., Antiquitat., lib. XVIII, c. III.
  9. Tillemont, Histoire des Empereurs, à l’an 47, pag. 467, édition de Bruxelles.