Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/483

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
473
ARTÉMISE.

Tzetzès se brouille un peu[1]. L’une des Artémises est, selon lui, femme de Mausole ; l’autre est femme d’Hécatomne ; et c’est à la première qu’il attribue d’avoir suivi Xerxès. Or tous les auteurs conviennent que celle qui fit bâtir un magnifique tombeau à son mari, était fille d’Hécatomne, et femme de Mausole ; et que l’Artémise qui suivit les Perses contre les Grecs, était fille de Lygdamis. Le grand Scaliger ne passera pas ici à la montre ; il a trop visiblement pris l’une pour l’autre[2], et cela dans un endroit où il n’était pas facile de se méprendre ; car c’est dans l’extrait d’un livre dont l’auteur a dit en propres termes qu’il parle d’une Artémise, fille de Lygdamis, laquelle avait pris les armes pour les Perses[3]. Scaliger, supprimant tous ces caractères, a substitué celui de veuve de Mausole, qui ne peut être appliqué qu’à cette reine de Carie, qui fit tant d’honneur à la mémoire de son mari. Ce grand homme a fait errer un autre grand homme, puisqu’il a été cause que Henri de Valois a débité qu’Artémise, après la mort de Mausole, se voyant méprisée de Dardanus, qu’elle aimait, lui creva les yeux ; et puis, se trouvant encore plus amoureuse, s’en alla faire le saut de Leucade, qui la tua[4]. Pour peu qu’on confronte ce passage avec celui de Scaliger, on se convainc pleinement que l’un est la copie de l’autre. Ce faux pas de M. de Valois en si beau chemin, et la diversité qu’il observe entre Théopompe, qui fait mourir Artémise de regret pour la perte de son mari, et Ptolomée, fils d’Héphestion, qui la fait mourir d’amour pour un autre homme, à ce que M. de Valois prétend, sont des choses d’autant plus étonnantes, qu’il avait cité, deux lignes plus haut, le VIIe. livre de ce Ptolomée, afin de prouver que le père d’Artémise ne s’appelait point Damis, mais Lygdamis. Balthasar Boniface, qui rapporte le même faux conte de la femme de Mausole[5], ne nie point qu’il ne l’ait tiré de Scaliger. Habemus confitentem reum ; et l’on peut bien dire, sur ces sortes de propagations de faute,

......Dedit hanc contagio labem,
Et dabit in plures ; sicut grex totus in agris
Unius scabie cadit, et porrigine porci
Uvaque conspecta livorem ducit ab uvâ[6].


M. Ménage, ayant rapporté plusieurs choses avantageuses d’Artémise, femme de Mausole, et nommément l’honneur qu’on lui fait de la proposer pour un modèle d’amitié conjugale, continue de cette façon : Cependant Ptolomée, fils d’Héphestion….. dit qu’Artémise fut tellement éprise d’amour pour un certain Dardanus, etc. Ayant raconté toute l’histoire, il poursuit ainsi : « Il y a eu deux Artémises, toutes deux reines de Carie, comme nous l’apprenons de Suidas ; celle qui avait épousé Mausole, et une autre plus ancienne ; et, si cette histoire est véritable, il y a apparence qu’elle est arrivée à cette première Ârtémise, et que ce Ptolomée, fils d’Héphestion, qui l’attribue à la femme de Mausole, s’est trompé[7]. » La conjecture de ce savant homme est très-juste, mais il a eu tort de dire que ce Ptolomée attribue à la femme de Mausole l’aventure dont il s’agit. Sarasin, faisant parler M. Ménage dans le Dialogue, s’il faut qu’un jeune homme soit amoureux, lui fait débiter qu’Artémise, la même Artémise qui fut si affligée de la mort de son mari, qui se noyait le visage de pleurs, et qui disait aux astres qui n’en pouvaient mais,

Tout ce que fait dire la rage,
Quand elle est maistresse des sens[8],


devint ensuite amoureuse de Dardanus, et qu’il n’y a point de coquette déclarée qui ne tînt à honte d’avoir eu les emportemens de cette reine. Là-dessus on cite ce que Scaliger raconte. Voilà donc encore un bel-esprit, ou plutôt deux, M. Sarasin et M. Ménage, trompés par le savant Scaliger. L’ingénieux auteur des nouveaux Dialogues des Morts a supposé qu’Artémise, celle-là même qui pleura tant

  1. Tzetzes, chiliad. XII, Hist. 455.
  2. Scalig., Ausoniar. Lection. lib. II, cap. XVIII. Vide Ausonium Tollii, pag. 329.
  3. Ptolem. Hephæst., apud Phot., cod. CXC, pag. 491.
  4. Valesii Notæ in Harpocrat. Lexicon, pag. 11.
  5. Hæc Ptolomæus Hephæstionis filius apud juniorem Scaligerum recenset. Balth. Borifac., Hist. Ludicr., lib. III, cap. XXXVII.
  6. Juvenal., Sat. II, vs. 78.
  7. Ménage, Observat. sur Malberbe, p. 530.
  8. Œuvres de Sarasin, pag. 181.