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ATTICUS.

tre ici sous l’idée d’une grande singularité, c’est principalement à cause du nombre d’années qu’il passa avec sa mère, et avec sa sœur, sans aucune brouillerie. C’est dommage que l’histoire n’ait pas ajouté comment il se gouverna avec sa femme. Il ne se vanta de rien là-dessus [1] ; et cela pourrait faire soupçonner que son adresse, ou que sa patience, ne purent pas se signaler à cet égard autant qu’envers sa mère et sa sœur, qui peut-être de leur côté contribuèrent notablement à la concorde, et ne l’obligèrent pas à faire de grandes avances. Le fait, en ce cas-là, perdrait beaucoup de sa singularité, par rapport à Atticus ; mais à tout prendre, il n’en perdrait rien, et l’augmenterait plutôt. Voyez dans la remarque suivante, qu’Atticus fut toujours bien avec un oncle dont l’humeur était si bourrue, qu’aucun parent n’avait pu la supporter. Revenons à la femme d’Atticus. Il est étrange que Cornelius Népos n’en dise ni bien ni mal, et qu’il faille recourir à d’autres auteurs pour apprendre qu’elle s’appelait Pilia, et qu’Atticus l’épousa l’an de Rome 697 [2]. Il n’était plus jeune, il avait cinquante-trois ans. Il ne s’était pas hâté de s’enrôler dans cette milice. On peut recueillir d’une lettre de Cicéron [3], que Pilia aimait son mari ; car pour cet autre passage [4], où quelques-uns ont trouvé qu’elle songeait à faire divorce, il est visible qu’il doit être autrement lu, et qu’il signifie qu’elle était menacée de paralysie. M. Sarrazin assure dans sa traduction de la vie de Pomponius Atticus, que la ville d’Athènes érigea aussi des statues à Pilia femme d’Atticus ; mais il est visible qu’il s’est servi d’une mauvaise édition, car il ne faut point lire Pilia dans Cornélius Népos. Le mariage d’Atticus suivit de trop loin son retour d’Athènes, pour que les Athéniens aient songé à ériger des statues à sa femme. Cornélius Népos aurait-il été assez étourdi pour nous parler des statues de Pilia sans dire ce qu’elle était ? La famille Pilia ne fait aucune figure dans l’ancienne histoire romaine.

(D) De grands biens lui échurent par succession. ] Quintus Cæcilius était son oncle maternel. C’était un homme insupportable ; mais Atticus ménagea si bien cet esprit farouche, qu’il se maintint dans ses bonnes grâces, sans aucune interruption, jusqu’à la fin. Il trouva fort bien son compte à cette souplesse ; car Cæcilius le fit son principal héritier, et lui laissa près d’un million. Le patrimoine d’Atticus avait été d’environ deux cent mille francs. In sestertio vicies quod à patre acceperat [5]. Au reste, parce que Cæcilius adopta son neveu par son testament, il fallut qu’Atticus se nommât depuis ce temps-là Q. Cæcilius Pomponius Atticus. Voyons ce que dit Cornélius Népos de l’humeur chagrine de cet oncle. Habebat avunculum Q Cæcilium, equitem romanum, familiarem L. Luculli [6], divitem, difficillimâ naturâ, cujus sic asperitatem veritus est, ut quem nemo ferre passet, hujus sine offensione ad summam senectutem retinuerit benevolentiam : quo facto tulit pietatis fructum ; Cæcilius enim moriens testamento adoptavit eum hæredemque fecit ex dodrante. Ex quâ hæreditate accepit circiter centies LLS [7].

(E) Il se fit tellement aimer des Athéniens, que le jour de son départ de leur ville fut... un jour de deuil. ] il avait transporté chez eux la meilleure partie de ses effets, et soit en prêtant, soit en donnant, il rendit de grands services à la ville d’Athènes [8]. On n’en fut pas méconnaissant : on lui rendit toutes sortes d’honneurs publics. Il refusa celui de la bourgeoisie, et l’érection d’une statue ; mais après qu’il fut parti, on lui en érigea plusieurs. On fut très-fâché de son départ. Quo factum est ut huic omnes honores quos possent publicè haberent, civemque facere studerent,

  1. Voyez le commencement de la citation précédente.
  2. Voyez la IIIe. lettre de Cicéron ad Quintum fratrem, lib. II ; et Fabricius dans la Vie de Cicéron à l’an de Rome 697.
  3. La onzième du Ve. livre ad Atticum.
  4. De la VIIe. lettre du XVIe. livre ad Atticum.
  5. Cornelius Nepos, in Vitâ Attici, cap. XIV.
  6. Valère Maxime, liv. VII, chap. VIII. num. 5, dit que Cæcilius avait promis sa succession à Lucullus, et que l’ayant trompé, son cadavre fut traîné par les rues.
  7. Cornelius Nepos, cap. V.
  8. Cornelius Népos, cap. II.