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AVERROÈS.

que deux philosophes, dont l’un nie, l’autre affirme la même thèse en même temps, ne font qu’un seul être à l’égard de l’intellect ? Examinons ce qu’un adversaire de Pomponace proposa contre cette extravagance.

Premièrement, il la réfute en tant qu’elle pose que l’entendement n’est pas dans l’homme, et puis en tant qu’elle pose que tous les hommes n’ont qu’un même entendement. Sur le premier point, il demande, pourquoi un entendement qui doit unir son action à celle de l’homme, et cela de la manière la plus intime qui se puisse concevoir en ce genre-là, croirait se déshonorer, s’il s’unissait avec les organes, pour composer avec eux un individu [1] ? Vous comprendrez aisément l’union intime dont on parle là, si vous prenez garde que, selon les averroïstes, l’âme de l’homme n’est point capable d’entendre sans le secours de cet intellect assistant. Il faut donc que cet intellect supplée par son action à ce qui manque à l’âme de l’homme ; et par conséquent nos actes intellectuels dépendent de deux principes, dont l’un est comme un sujet passif et incomplet, l’autre est un principe actif et qui perfectionne. Il est donc vrai que le concours de ces deux principes se termine à un même effet, et qu’ainsi l’action de l’entendement des averroïstes s’unit d’une façon très-intime avec l’âme qui entend. Cette difficulté n’est point forte, car l’union que l’on objecte n’est pas plus intime que celle de l’action de Dieu avec l’action de la créature, selon la doctrine du concours : et néanmoins il ne s’ensuit pas que ces deux causes se doivent unir personnellement. L’auteur prétend prévenir cette réponse, en disant que l’action de l’intellect des averroïstes est immanente et particulière, ce qui ne se peut pas dire du concours de Dieu[2] ; mais on pourrait lui faire de bonnes répliques : ainsi sa dispute n’est pas triomphante quant au premier point, comme elle l’est quant au second ; car voici comment il presse Averroës : Cet intellect dont vous parlez, est ou Dieu, ou bien une créature. S’il est Dieu, je vous fais cette question : Agit-il au dedans de lui, ou au dehors ? S’il agit au dehors, quel monstre ne sera-ce point qu’un acte d’intelligence posé hors de l’intellect, et dans une autre personne[3] ? Ceci prouve trop : il en faudrait inférer que l’entendement divin ne peut point produire dans l’âme de l’homme un acte d’intelligence, sans le produire dans lui-même. Or, cela est faux et absurde. L’autre membre de la question réduit aux abois les averroïstes. Si Dieu forme en lui-même les actes d’intelligence qui sont dans l’homme, combien d’erreurs nourrira-t-il dans son sein ? Sed neque intra Deum contineri potest (intellectio) quòd immensos in eum errores toties inveheret, quoties opinione suâ fallerentur homines ; neque enim prorsùs ulla valeret excusatio, quin prima ac summa veritas è se ipsâ monstrosè deficeret, si assignanda ipsi essent, si in sinu ejus et complexu reponenda quæcumque esse possunt falsa hominum judicia [4]. S’ils répondent que cet intellect est créé, l’auteur réplique qu’une créature ne paraît pas pouvoir être suffisante à modifier si à propos toutes les âmes humaines en même temps [5]. Outre que les opinions contraires qui règnent parmi les hommes ne sauraient loger ensemble dans un seul entendement. Quomodò in unam et eandem intelligentiam simul cadet contrarietas illa opinionum et sententiarum, quam toties in hominibus experimur, cùm unus ait, alter negat de eodem idem ? quæ eadem quæstio impedire potest adversarium in responsione jamjam explosâ de intellectu divino. Cette dernière objection a la même force contre ceux qui voudraient dire que cet intellect est Dieu. C’est aussi par-là que l’on réfute invinciblement le spinozisme[6]. Notez que l’auteur avoue, que toute la force de son objection consiste en ce qu’il prétend avoir prouvé que l’action de l’entendement des averroïstes sur l’âme de l’homme est immanente[7]. Je ne

  1. Antonius Sirmondus, de Immortalitate Animæ adversùs Pomponat. et asseclas, pag. 368.
  2. Idem, ibid., pag. 369.
  3. Quid hoc portenti intellectio ut extra intellectum consistat et quidem toto ab eo disjuncta supposito ? Sirmondus, de Immort. Animæ, pag. 370.
  4. Idem, ibidem.
  5. Idem, ibidem, pag. 371, 372.
  6. Voyez l’article Spinoza, remarque (N), num. III.
  7. Anton. Sirmondus, de Immort. Animæ, pag. 372.