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AVERROÈS.

crois point qu’ils soient obligés de convenir qu’il prouve cela. Quant au reste, il déclare qu’il ne trouverait rien à redire à la pensée d’Averroës, si ce philosophe n’eût parlé que de l’action de l’entendement divin considéré comme la cause première. Restat ergo, ut suum istud somnium integrum Averroës somnii loco et mendacii haberi sinat, aut certè interpretetur ipse, de actione intellectûs divini, quâ parte non intellectûs quidem præcisè, sed est prima causa, in omnes causarum secundarum, adeòque inferiorum intelligentiarum effectus ex virtute suâ influens aliquid......[1]. An ità possit, non disputo, illud contentus ostendisse, quòd nisi quid simile sonet ejus doctrina, inanis ac stulta sit ; si quid autem simile, ne pilum quidem nobis adversantem habeat [2]. Il nous avertit qu’il s’est abstenu des objections que Thomas d’Aquin a proposées contre l’hypothèse de cet Arabe. Je vous avertis qu’elle se trouve parfaitement réfutée dans un ouvrage de M. Duplessis-Mornai[3].

On s’étonnera que des génies aussi sublimes qu’Aristote et qu’Averroës aient forgé tant de chimères sur l’entendement ; mais j’ose dire qu’ils ne les eussent jamais forgées, s’ils n’eussent été de grands esprits. C’est par une forte pénétration qu’ils ont découvert des difficultés qui les ont contraints de s’écarter du chemin battu, et de mépriser plusieurs autres routes où ils ne trouvaient pas ce qu’ils cherchaient. La plus certaine connaissance qu’ils eussent de la nature de l’âme, est qu’elle est capable de penser successivement à mille choses ; mais ils ne pouvaient comprendre comment elle réduisait en acte cette faculté : l’action des objets, leurs espèces, leurs images épurées tant qu’il vous plaira dans le cerveau, rien de tout cela ne paraît capable de donner à l’âme l’intelligence actuelle. Voyez avec quelle force le père Mallebranche réfute tout ce qu’on dit de la manière dont nous connaissons les choses[4]. Il n’a point trouvé d’autre ressource, que de dire que nous les voyons en Dieu, et que les idées ne sont point produites dans notre âme. Quelques anciens philosophes ont dit que Dieu est l’intelligence générale de tous les esprits, c’est-à-dire, qu’il leur verse la connaissance comme le soleil répand la lumière sur les corps. Lisez ces paroles des jésuites de Conimbre : Prima sententia fuit Alexandri libro secundo de Animâ cap. 20 et 21, existimantis intellectum agentem esse intellectum universalem omnium conditorum, hoc est Deum, quod etiam Platonis dogma libro sexto de Republicâ fuissec reditur, qui intellectum agentem nostros animos cœlitùs irradiantem comparavit soli, ut ex Themistio hoc in lib., refert divus Thomas, 1 part., quest. 79, articulo quarto. In eundem errorem lapsus fuit Priscianus Lydus asserens, intellectum : agentem non esse partem animæ, sed mentem primam atque divinam, vel ideam boni[5]. Quand une matière est fort abstruse, il ne faut pas s’étonner que les plus grands philosophes en parlent un peu de travers ou sur des suppositions malaisées à comprendre. Or, s’il y eut jamais de matière difficile, c’est celle de la formation de la pensée. Elle est peut-être plus impénétrable que celle de l’origine de l’âme. C’est beaucoup dire, car la réflexion de Bartholin sur une chose que l’on raconte de saint Anselme est de bon sens. On assure que cet archevêque de Cantorbéri, se voyant proche de la mort, à l’âge de soixante-seize ans, souhaita un petit délai, afin d’achever une question très-obscure qu’il avait commencée sur l’origine de l’âme[6]. « S’il eût obtenu encore soixante-seize ans de vie, dit Bartholin, je doute qu’il eût pu venir à bout d’une question si obscure. » Valdé dubito, si vel totidem annos quos vixerat illi addidisset Deus, vitæ arbiter, ad finem quæstionis dubiæ unquàm potuerit pervenire[7]. Notez que la plupart des cartésiens enseignent que comme il n’y a que Dieu qui puisse

  1. Idem, ibidem.
  2. Idem, ibidem, pag. 373.
  3. Celui de la Vérité de la Religion chrétienne, au chap. XV.
  4. Mallebranche, Recherche de la Vérité, liv. III, chap. I et suivans de la IIe. partie.
  5. Conimbric., in lib. III de Animâ, cap. V, Quæst. I, art. I, pag. 226.
  6. Voyez l’article de cet Anselme, remarque (A).
  7. Thom. Bartholinus, Dissertat. VI de legendis libris, pag. 264.