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AVERROÈS.

mouvoir les corps, il n’y a aussi que Dieu qui puisse modifier les esprits. Ils exceptent les actions qui rendent l’âme criminelle. Mais, pour tout ce qui s’appelle sensation, imagination, passion, mémoire, idée, ils prétendent que Dieu en est la cause efficiente et immédiate, et que l’action des objets ou le mouvement de nos esprits animaux n’en est que la cause occasionelle. Ce sentiment n’est qu’une extension de celui qu’on attribue à un fameux interprète d’Aristote, et que M. du Plessis-Mornai réfute par des raisons spécieuses, mais dont nos cartésiens ne s’embarrasseraient pas. Voyons quelque chose de ce qu’il avance. Quant à l’opinion d’Alexandre (d’Aphrodisée), qui prétend un intellect agent universel, qui imprime l’intellect possible, c’est-à-dire, la capacité d’un chacun, et la réduise en action, la plus part des raisons cy-dessus déduictes contre Averroës, sert aussi contre lui. Mais par ce que par cet intellect agent il semble entendre Dieu dire mesme, il y a ceci de plus, que Dieu qui est tout bon et tout sage, n’imprimeroit point en notre entendement les folies et les malignités que nous y remarquons ; qu’il n’y laisseroit pas aussi tant d’ignorance, et de tenèbres, que nous y tastons, ains vaincroit en tous la contagion qu’apporte ce corps, et bien qu’il n’inspirast ou n’influast tant de choses à l’un qu’à l’autre, selon les diverses capacitez de ceste table rase, que pour le moins il n’y peindroit pas un monde de faux traicts, que nous y pouvons voir chacun en soy-mesme. En après, où l’influxion seroit perpétuelle, ou bien entrecouppée. Si perpétuelle, nous entendrions tout ce que nostre imagination nous représenteroit sans labeur et sans art ; si entrecouppée, il ne seroit pas en nous d’entendre chose quelconque, ny de vouloir quand nous voudrions. Or, au contraire, nous avons peine à comprendre certaines choses, et nous faut gagner sur l’ignorance de nostre esprit, comme pied à pied : et y en a d’autres que nous entendons dès qu’elles se présentent, et quand nous voulons[1].

(F) ...... qui fit des progrès si formidables,....... qu’il fallut le faire proscrire par l’autorité papale. ] J’ai rapporté ailleurs[2] les paroles d’une bulle de Léon X, approuvée dans le concile de Latran. J’ajoute ici que Raimond Lulle sollicita instamment le pape Clément V à condamner les Commentaires d’Averroës sur Aristote, et qu’il tâcha d’engager Philippe-le-Bel, roi de France à solliciter la même chose. Il représenta que ce sont des livres remplis d’erreurs pernicieuses, et qui peuvent conduire peu à peu les jeunes gens à l’impiété : il pria, il présenta des requêtes, il fit un livre sur ce sujet ; mais il trouva sourds et le pape et le roi de France[3]. Présentement, il n’est nécessaire, ni de demander cela, ni de prier qu’à tout le moins il soit défendu de tenir ce philosophe pour un oracle : son autorité est nulle, et personne ne perd du temps à le lire ; mais il y a eu des siècles bien infatués de sa doctrine. Lisez ce qui suit : Congruentior et exauditu facilior fuisset petitio, pro quâ nunc, (quæ Dei benignitas est,) non est satagendum. Nimirùm ne Averroës oraculi loco esset in scholis : quod cum superiori seculo, et paucis anterioribus, invaluisset, præsertim in Italiâ, ut Canus lib. 10 de Locis, c. 5, notavit : occasio fuit magnorum in oris illis errorum, et inutilis diligentiæ, quâ aliqui non minùs in pervolutando Averroë collocabant operæ, quàm in sacris litteris ponant, qui iis maximè delectantur : nec fidei minùs Averroï tribuerunt, quàm optimi quique fideles canonicis scriptoribus : quod indignissimum fuisse, nemo non videt. Nunc Averroïs in scholis depontanus evasit[4]. Louis Vives s’était bien plaint de l’autorité que ce philosophe arabe avait obtenue. Quem philosophi de nostrâ scholâ, qui post eum scripsêre, ità sunt amplexati ut penè authoritate Aristoteli adæquârint, nec solùm qui longo post intervallo vixerunt, sed qui illius quoque ætate ; quod factum est et ignorantiâ meliorum, et admiratione mercimonii linguâ et sensis peregrim : ut

  1. Du Plessis-Mornai, de la Vérite de la Religion chrétienne, chap. XV, folio 203,
  2. Dans l’article Spinoza, remarque (P), à la fin.
  3. Theop. Raynaldus, Erotem. de malis ae bonis libris, num. 340, pag. 200, il cite Charles Bouille, dans la Vie de Raymond Lulle.
  4. Idem, ibidem.