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AUGUSTIN.

pour garder le decorum, et pour éviter la dissipation du système qu’un aveu de la vérité produit nécessairement. Il y a des gens pour qui c’est un grand bonheur que le peuple ne se soucie point de se faire rendre compte sur la doctrine, et qu’il n’en soit pas même capable. Il se mutinerait plus souvent contre les docteurs, que contre les maltotiers. Si vous ne connaissez pas, leur dirait-on, que vous nous trompez, votre stupidité mérite qu’on vous envoie labourer la terre ; et, si vous le connaissez, votre méchanceté mérite qu’on vous mette entre quatre murailles, au pain et à l’eau. Mais on n’a rien à craindre : les peuples ne demandent qu’à être menés selon le train accoutumé ; et, s’ils en demandaient davantage, ils ne seraient pas capables d’entrer en discussion : leurs affaires ne leur ont pas permis d’acquérir une si grande capacité.

(F) Les arminiens..….… en usent sincèrement avec ce saint père de l’Église. ] Il n’a tenu qu’à eux de chicaner le terrain comme les jésuites ; mais ils ont trouvé plus commode d’abandonner entièrement saint Augustin à leurs adversaires, et de le reconnaître pour un aussi grand prédestinateur (c’est un terme fort usité parmi eux) que Calvin. Les jésuites en auraient fait autant, sans doute, s’ils avaient osé condamner un docteur que les papes et les conciles ont approuvé.

(G) Un savant critique français... méprise de tout son cœur les Commentaires de saint Augustin sur l’Écriture. ] Je parle de M. Simon : voyez son Histoire critique du Vieux Testament [1], où le principal éloge qu’il donne à ce père, est d’avoir connu son insuffisance. Il a très-bien remarqué, dit-il [2], les qualités nécessaires pour bien interpréter l’Écriture : et comme il était modeste, il a avoué librement que la plupart de ces qualités lui manquaient, et partant, on ne doit pas s’étonner si l’on trouve quelquefois peu d’exactitude dans ses Commentaires sur l’Écriture..…. Il reconnut bientôt que l’entreprise de répondre aux manichéens, était au-dessus de ses forces. In scripturis exponendis tyrocinium meum sub tantâ sarcinæ mole succubuit [* 1]. J’avoue que M. Simon ne cite pas Pierre Castellan sans le blâmer. Mais pouvait-il, écrivant en France, ne pas se servir de quelque ménagement ? Je ne puis, dit-il [3], approuver les emportemens de Pierre Castellan, grand-aumônier de France, qui accuse saint Augustin avec trop de liberté, en lui reprochant de n’avoir fait que rêver, lorsqu’il a expliqué l’Écriture Sainte. Ceux qui ont écrit contre lui, ont très-bien su lui reprocher le peu d’accord qu’il y a entre l’estime qu’il veut faire paraître pour les écrits de saint Augustin, et le jugement qu’il en fait ; et ils se sont servis de cette occasion, pour donner une idée fort désavantageuse de ce père [4]. On ne peut, disent-ils, se former une autre idée du bienheureux saint Augustin, que d’un déclamateur, qui dit tout ce qui lui vient en la tête, à propos ou non, pourvu que cela s’accorde avec un certain système platonicien qu’il s’était formé de la religion chrétienne ; d’un esprit qui se perd à tous momens dans les nues, et qui se laisse emporter à de froides allégories ; qu’il débite comme des oracles ; d’un homme enfin, qui n’avait aucune des qualités que doit avoir un interprète de l’Écriture Sainte. Ils donnent de tout cela quelques exemples bien forts. M. Simon, dans sa réplique, ne s’est pas fort attaché à défendre saint Augustin. On sent bien que son cœur n’était point là : il donne quelque chose à la bienséance, et beaucoup plus à l’intérêt de critiquer son adversaire [5]. On peut remarquer en divers endroits de ses écrits qu’il croit que, puisque saint Augustin n’a pas fait difficulté d’abandonner les pères grecs sur les matières de la grâce, personne n’est obligé de le suivre préférablement aux pères grecs. Ce subterfuge serait bien commode, mais il n’y a pas

  1. (*) Lib. I, Retractat., cap. XVIII.
  1. Liv. III, chap. IX.
  2. Là même, pag. 397, 398.
  3. Histoire critique du Vieux Testament, pag. 399.
  4. Voyez le livre intitulé : Sentimens de quelques Théologiens de Hollande sur l’Histoire critique du Vieux Testament, pag. 357 et suiv., et la Défense de ces Sentimens, pag. 348 et suiv.
  5. Voyez la Réponse aux Sentimens de quelques théologiens de Hollande, pag. 202 et suiv., et la Réponse à la Défense des Sentimens, pag. 198 et suiv.