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AUGUSTIN.

moyen de s’en servir ; car, puisque la doctrine de saint Augustin sur la grâce a été approuvée par l’Église, il faut que toute doctrine opposée à celle-là soit à rejeter ; et ainsi, tout ce que saint Chrysostome a pu dire de favorable au molinisme est un dogme particulier, et flétri, pour le moins implicitement, par l’approbation authentique qui a été donnée à saint Augustin. C’est ce que j’ai appelé ci-dessus un embarras qui jette l’église romaine dans une espèce de ridicule. Je rapporte les paroles de Castellan : elles sont notables, et sa Vie n’est pas un livre fort commun en ce pays-ci. Ut divum Augustinum contra hæreticos de hominis christiani justificatione disputando, proximè ad divi Pauli sententiam accessisse fatebatur, ità, linguarum ignoratione, somniâsse frequenter atque etiam delirâsse sacra explicando asseverabat : cùmque bonarum artium magis non ignorans quàm peritus dici posset, non satis idoneum esse judicabat cui de artibus disserenti legendo tempus transmitteretur qui minimè otio abundaret. Eam quoque stili Augustiniani anfractuosam sinuositatem esse, et sermonis omni elegantiâ vacui impuritatem addebat, ut ab homine liberaliter in litteris educato citra fastidium legi vix posset [1].

Depuis la première édition de ce Dictionnaire, j’ai vu l’éclaircissement que M. Simon a donné pour remédier aux plaintes des jansénistes. Mon intention, dit-il [2], n’a pas été de diminuer en quoi que ce soit l’autorité de saint Augustin, que j’ai toujours reconnu être le plus habile théologien des églises d’Occident, et avoir mérité les grands éloges que tant de papes lui ont donnés....... Je conviens que l’Église nous assure que ceux qui ont enseigné la théologie par art et par méthode ont pris saint Augustin pour leur maître et pour leur guide. Ce sont les paroles du bréviaire romain, mais elles ne signifient pas que ces maîtres de théologie, qui ont suivi saint Augustin dans la manière de traiter cette science, aient été obligés de ne s’éloigner jamais des opinions de ce savant évêque, ni que ces mêmes opinions soient des articles de foi, ni enfin qu’il faille abandonner les autres pères, lorsqu’ils ne s’accordent point entièrement avec lui. L’église nous apprend dans les mêmes leçons du bréviaire, en parlant de saint Jean Chrysostome [* 1], que tout le monde admire sa manière d’interpréter à la lettre les livres sacrés, et le juge digne de ce qu’on a cru de lui ; savoir, que saint Paul, qu’il a singulièrement honoré, lui a dicté plusieurs choses. J’ai toujours eu beaucoup de vénération pour ces deux grands hommes, qui sont encore aujourd’hui l’admiration des églises d’Orient et d’Occident ; mais ne s’agissant que de l’explication de certains passages de l’Écriture, sur lesquels saint Augustin et Saint Chrysostome ne sont pas toujours d’accord, j’ai cru qu’il n’était permis de suivre les interprétations de saint Chrysostome, lorsqu’elles me paraissaient plus littérales. Cette diversité, qui ne regarde nullement le fond de la doctrine n’empêche point qu’ils ne conviennent entre eux sur les points essentiels de notre créance. J’aurais pu, à la vérité, parlant de saint Augustin dans mon Histoire des Commentateurs, garder plus de modération pour ce qui est des expressions, et j’ai même rapporté quelques termes du cardinal Sadolet, qui semblent trop durs ; mais je n’ai jamais eu dessein de combattre la doctrine de ce saint docteur, qui a réfuté avec tant de force les hérésies de son temps. Il ajoute qu’il s’est proposé pour son guide le cardinal Gaspard Contarin, qui jugea qu’il y avait un certain milieu à prendre entre ceux qui, sous prétexte d’être les ennemis des luthériens, s’approchaient trop de l’hérésie de Pélage, et ceux qui, ayant quelque teinture des écrits de saint Augustin, étant très-éloignés de sa modestie et de sa charité, prêchaient au peuple des dogmes très-embarrassés, qu’ils n’entendaient pas eux-mêmes, et qu’ils ne sauraient expliquer qu’en se jetant dans des pa-

  1. (*) Interpretandirationem et inhærentem sententiæ sacrorum librorum explanationem omnes admirantur, dignumque existimant cui Paulus apostolus, quem ille mirificè coluit, seribenti et prædicanti multa dictâsse videatur. Breviarium Romanum.
  1. Petrus Gallandius, in Vitâ Castellani, pag. 44, 45.
  2. Simon, préface des Nouvelles Observations sur le texte et les versions du N. T. imprimées à Paris, en 1695, in-4o.