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AUGUSTIN.

vous pouvez soupçonner d’être vos parties. Prenez-les pour modèles en cette matière, ils répondent à tout. » Ayant ramassé plusieurs autres caractères, il continue de cette façon : « Je ne pense pas qu’à tous ces traits on puisse douter que ce sont des jésuites. Mais on dira que ce ne sont que quelques particuliers en petit nombre. D’accord ; on sait que ce ne peuvent être que quelques particuliers : on n’a jamais vu de corps entiers prêter leurs mains pour faire une même lettre. Mais n’a-t-on pas sujet d’attribuer des écrits à tout un corps, lorsqu’on en parle communément dans ce corps avec approbation et complaisance ? Que dis-je ! lorsqu’on s’en fait honneur, qu’on en distribue les présens, qu’on en fait trophée dans le monde, comme l’on sait que les jésuites le font si souvent de ces belles lettres ? En un mot, messeigneurs, quelque scandaleux que soient les écrits faits par les particuliers d’un corps, on a sujet de les attribuer à tout ce corps, lorsque les supérieurs ne se mettent pas en peine d’en arrêter le cours ; lorsque n’en étant pas les maîtres, ils ne témoignent pas par un acte public qu’ils les désapprouvent, ou lorsqu’ils ne font pas eux-mêmes aux personnes offensées des réparations aussi éclatantes que les injures et les calomnies l’ont été. C’est par cette règle qu’on a toujours regardé comme l’ouvrage du corps des jésuites l’écrit scandaleux de la Comédie des Moines, où presque tous les religieux sont traités avec une indignité et une dérision qu’on aurait peine à pardonner aux plus déchaînés hérétiques. On l’a, dis-je, justement attribuée à tout le corps, quoique composée et jouée par leurs jeunes gens, parce qu’il n’a jamais paru que les supérieurs en aient fait nulle satisfaction, nulle justice [1]. » Il fait voir après cela que c’est à M. l’archevêque de Paris à juger du différent [2] ; et il somme ses parties de paraître en personne à ce tribunal, et de prouver leurs diverses accusations ; à peine, s’ils manquent à l’un ou à l’autre, de se voir condamnés comme calomniateurs, et leurs libelles censurés comme diffamatoires. Mais, pour ne leur donner pas lieu d’abuser d’une citation vague el indéterminée pour le temps, et de peur aussi de les presser de trop près, nous leur accordons deux mois de temps, à compter du jour que notre citation sera devenue publique à Paris [3]. Enfin, il montre quel est l’état de l’affaire, et puis, dans l’instruction du procès, il réfute diverses choses publiées contre les bénédictins.

J’ose dire que M. l’archevêque de Paris, et un concile national même, se seraient trouvés embarrassés dans le jugement d’une telle cause ; car, outre que les questions du jansénisme sont toutes pleines d’équivoques, deux communautés puissantes et bien lettrées, qui ont chacune leurs amis et leurs ennemis, peuvent tailler beaucoup de besogne et faire naître des incidens à l’infini. Le meilleur expédient, lorsqu’il s’élève de ces disputes, est de recourir au bras séculier, comme à un dieu de machine, qui vienne couper le nœud. C’est ce qui est arrivé dans celle-ci. Le roi ordonna à M. le chancelier d’écrire une lettre à M. l’archevêque de Paris, afin qu’il ne fût plus parlé de cette querelle, et que les parties cessassent de rien publier là-dessus [4]. Mais, quoi qu’il en soit, on peut dire que les bénédictins prirent le parti le plus raisonnable qu’il y eût à prendre, tant pour montrer qu’ils se tenaient bien assurés de leur fait, que pour arrêter le cours des libelles. Ils demandèrent une procédure régulière, où leurs accusateurs fussent obligés de se nommer, et de prouver juridiquement les faits en question. Sans cela on ne saurait se promettre une bonne issue ; car, dans les causes même les plus mal fondées, ceux qui ont la liberté de ne plaider qu’au tribunal du public, par des livrets anonymes, se trouvent toujours en état de faire les fiers, et d’insulter, et d’étourdir, pourvu qu’ils ne manquent ni d’écrivains, ni d’imprimeurs. Un simple particulier, qu’il ait raison ou qu’il ait tort, se voit réduit au silence dès que les factums

  1. Plainte de l’Apologiste des Bénédictins, pag. 21.
  2. Pag. 23.
  3. Là même, pag. 24.
  4. Vous la trouverez dans les Lettres historiques du mois de janvier 1700, pag. 99.