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ANAXAGORAS.

mier homme d’Athènes, entra si avant, n’ait pas été mieux connu des historiens. Il y en a qui sur le point capital assurent tout le contraire de ce que les autres nient. Cela ne fait point d’honneur à l’antiquité.

N’oublions pas un beau passage de Lucien. On y suppose que le plus grand des dieux tâcha d’écraser Anaxagoras ; mais qu’il le manqua, et que la foudre, détournée par Périclès, alla brûler un temple et pensa se rompre contre le roc : Δίκην δώσουσιν, ἐπειδὰν τὸν κεραυνὸν ἐπισκευάσω. Κατεαγμέναι γὰρ αὐτοῦ, καὶ ἀπεςομωμέναι εἰσὶ δύο ἀκτῖνες αἱ μέγιςαι, ὁπότε ϕιλοτιμότερον ἠκόντισα πρώην ἐπὶ τὸν σοϕιςὴν Ἀναξαγόραν, ὃς ἔπειθε τοῦς ὁμιλητὰς μηδὲ ὅλως εἶναί τινας ἡμᾶς τοὺς θεοὺς. Ἀλλ᾽ ἐκείνου μὲν διήμαρτον. [ὑπερέσχε γὰρ αὐτοῦ τὴν χεῖρα Περικλὴς,] ὁ δὲ κεραυνὸς, εἰς τὸ ἀνάκειον παρασκήψας, ἐκεῖνό τε κατέϕλεξε, καὶ αὐτὸς ὀλίγου δεῖν συνετρίϐη παρὰ τὴν πέτραν [1]. Pœnas dabunt simul atque fulmen præparavero. Nam fracti sunt et retusâ cuspide duo radii ejus maximi, quùm nuper acris in sophistam Anaxagoram jacularer, qui suis familiaribus persuadebat, nullos esse nos qui Dii vocamur. At ab illo aberravi ; nam obtentâ manu Pericles eum protexit : fulmen verò in Castoris et Pollucis templum detortum, tum illud exussit, tum ipsum ad saxum penè est comminutum. Vossius, qui s’est contenté de dire que Jupiter lança la foudre contre ce philosophe [2], a été cause de ce que M. Moréri débite qu’Anaxagoras en fut écrasé. Il était assez naturel de le croire ; car on ne se figure pas aisément qu’un coup de foudre destiné à la ruine de quelqu’un ne le tue point. Mais cela nous doit apprendre à recourir aux originaux, sans nous arrêter à des modernes qui ne rapportent un fait qu’à l’égard des circonstances dont ils ont besoin. Vossius, par exemple, qui n’avait que faire en cet endroit-là de dire si Jupiter réussit ou non, supprima la moquerie de Lucien. Cette omission à été un piége pour M. Moréri ; il aurait pu l’éviter s’il eût simplement traduit le latin de Vossius. Pourquoi faisait-il le paraphraste ? Lambert Barleus, commentant cet endroit de Lucien, assure qu’Anaxagoras fut accusé d’athéisme à cause du dogme de l’entendement premier moteur, etc. [3]. C’est un mensonge qu’il a pris de Vossius et que j’ai déjà réfuté. Il dit aussi que l’on promit un talent à qui que ce fût qui tuerait ce philosophe [4]. C’est confondre, ce me semble, Anaxagoras avec l’athée Diagoras. Enfin il compare, en matière d’orthodoxie, Anaxagoras avec Lucien, et se plaint de ce que Justin Martyr met Lucien entre les athées : Anaxagoræ.…. non absimilis fuit Lucianus noster, quem immeritò ἄθεον vocat Justinus Martyr in oratione contra Græcos [5]. Sa comparaison est aussi fausse que sa plainte ; mais voici la source de son erreur. Il avait lu dans Vossius : Lucianus in Timone ait Jovem in Anaxagoræ caput..... sed Lucianum quid dico ? Ecce Justinus Martyr oratione ad Græcos eum ἄθεον vocat [6] : et il n’a point compris que cet eum se rapporte au philosophe Anaxagoras et non pas à Lucien.

(L) Diogène Laërce, en rapportant un bon mot d’Anaxagoras, a commis une bévue de chronologie. ] Il dit qu’Anaxagoras, voyant le sépulcre de Mausole, s’écria : C’est un monument de la conversion de l’or en pierres. Je ne m’attache pas à une version littérale ; mais voici le grec : Τάϕος πολυτελὴς λελιθωμένης ἐςὶν οὐσίας εἴδωλον [7]. Monumentum pretiosum in lapides conversarum divitiarum imago est. On peut croire qu’en effet il débita cette pensée en voyant quelque tombeau somptueux ; mais ce ne fut pas en voyant celui de Mausole, car sa mort précéda de plusieurs olympiades la construction de ce monument : Anaxagoras..... olymp. lxxxviii mortuus est. Mausoli autem sepulchrum ante olymp. cvii conditum non est. Aut igitur hæc verba philosophus ille non dixit, aut aliâ certé occasìone dixit : Mausoleum enim nunquàm vidit : quod ab illustratoribus Laërtii nondùm opinor observatum est. Verba sunt Joannis Pearsonii viri undecunquè doctis-

  1. Lucianus, in Timone, pag. 65, tom. I Operum.
  2. Vossius, de Philosoph. Sectis, pag. 27.
  3. Lambert. Barlæus, in Luciani Timon. pag. 62.
  4. Id., ibid.
  5. Id., ibid., pag. 63.
  6. Vossius, de Origine et Progressu Idolol., lib. I, cap. I, pag. 5.
  7. Diog. Laërtius, lib. II, num. 10.