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ANAXAGORAS.

simi, in libro de epistolis sancti Ignatii, pag. 9 secundæ partis ; quibus ego assentior. Id ipsum observatum à Gisberto Cupero in antiquis numismatibus explicatis, viro elegantissimii ingenii [1].

(M) La constance d’Anaxagoras, à la nouvelle de sa condamnation, et de la mort de ses fils, fut merveilleuse. ] Il dit sur la première nouvelle : Il y a long-temps que la nature a prononcé son arrêt autant contre eux [2] que contre moi ; et sur la seconde : Je savais bien que je les avais engendrés mortels [3]. Diogène Laërce insinue qu’il les perdit tous, et ajoute que, selon Démétrius Phaléréus, ses fils l’enterrèrent de leurs propres mains [4]. Ce serait une contradiction entre les auteurs : mais on la pourrait lever, si l’on supposait que, depuis qu’il eut témoigné cette constance, il mit au monde d’autres enfans, ou qu’il ne fit cette réponse que sur la nouvelle que l’un de ses fils était mort. Cicéron emploie le nombre singulier : Quem (Anaxagoram) ferunt nunciatâ morte filii, dixisse : « Sciebam me genuisse mortalem [5]. » Valère Maxime [6], Plutarque [7], et Simplicius [8] emploient le même nombre ; mais Élien observe qu’Anaxagoras n’avait que deux fils, et qu’il prononça cette parole en apprenant la mort de tous deux [9]. Notez qu’il reçut cette nouvelle en faisant une leçon de philosophie [10].

Mettons ici ce qu’il répondit à ses amis, qui lui demandaient à Lampsaque s’il voulait qu’après sa mort on le fît porter à Clazomène sa patrie : « Cela n’est pas nécessaire, leur dit-il, le chemin des enfers n’est pas plus long d’un lieu que d’un autre. » Præclarè Anaxagoras, qui quùm Lampsaci moreretur, quærentibus amicis velletne Clazomenas in patriam, si quid ei accidisset, afferri, « Nihil necesse est, inquit, undiquè enim ad inferos tantundem viæ est [11]. » Diogène Laërce suppose qu’il dit cela à quelqu’un qui se fâchait de mourir hors de sa patrie [12]. Je me suis souvent étonné que les bons mots des anciens soient rapportés si diversement : j’en ai cherché la raison, et voici ce qui m’a paru de plus vraisemblable. Les lecteurs retiennent mieux le gros et le fond d’un fait que les circonstances : ils veulent donc le rapporter ; ils suppléent le mieux qu’ils peuvent ce qu’ils en ont oublié ; et comme les goûts sont différens, il arrive que les uns suppléent une chose, les autres une autre. Je ne dis rien des supplémens que l’on fait exprès pour ajuster mieux les choses au sujet qu’on traite. Ce sont des variations artificieuses et de mauvaise foi ; je n’en parle pas. Ce que j’ai dit des lecteurs se doit étendre sur toutes sortes de gens. On falsifie encore plus ce que l’on a ouï dire que ce qu’on a lu.

(N) Il discernait fort bien quelles conditions sont les plus heureuses. ] Il croyait que celles qui le paraissent le moins le sont le plus, et qu’il ne fallait pas chercher, parmi le gens riches et environnés d’honneurs, les personnes qui goûtent la félicité ; mais parmi ceux qui cultivent un peu de terre, ou qui s’appliquent aux sciences sans ambition. Valère Maxime vous le dira mieux que moi : Nec parùm prudenter Anaxagoras interroganti cuidant, quisnam esset beatus ? « Nemo, inquit, ex his quos tu felices existimas : sed eum in illo numero reperies, qui à te ex miseris constare creditur. Non erit ille divitiis et honoribus abundans ; sed aut exigui ruris, aut non ambitiosæ doctrinæ fidelis ac pertinax cultor, in secessu quàm in fronte beatior [13]. »

(O) On lui fit une épitaphe très-glorieuse. On alla même jusqu’à lui bâtir

  1. Menag., in Diog. Laërt., pag. 77 col. 2.
  2. C’est-à-dire, contre ses juges.
  3. Diog. Laërtius, lib. II, num. 13.
  4. Idem, ibid.
  5. Cicero, Tuscul. Quæstion., lib. III, cap. 24.
  6. Valer. Maximus, lib. V, in fine.
  7. Plutarchi Consol. ad Apollon., pag. 118 ; de cohib. Irâ, pag. 463, de Tranq. Animi, pag. 474. M. Ménage, in Laert., lib. II, num. 13, cite comme deux Traités de Plutarque celui de cohibendâ Irâ, et περὶ ἀοργησίας.
  8. Simplic., in Epicteti Enchirid., cap. XXII.
  9. Ælianus, Var. Hist., lib. III, cap. II.
  10. Plut., de Consol. ad Apoll. pag. 118. Ælian., Var. Hist., lib. III, cap. II. Stobæus, Serm. CVI.
  11. Cicero, Tuscul. Quæstion., lib. I, cap. 43.
  12. Diog. Laërt., lib. II, num. 11.
  13. Valer. Maxim., lib. VII, cap. II, num. 9, in Extern., pag. 604.