Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
ANAXAGORAS.

comme il semble se déclarer en un autre lieu pour Phavorin, qui avait dit qu’Alcméon disciple de Pythagoras fut le premier qui écrivit sur la physique [1], il rend fort douteux son témoignage. Clément d’Alexandrie n’a rien décidé : il se contente de dire, que les uns attribuent à Alcméon le premier ouvrage qui ait été publié touchant la nature, et que les autres prétendent qu’Anaxagoras est le premier qui ait donné un livre au public [2]. Ces deux opinions seraient fausses, si Thalès avait fait des livres, comme l’assure saint Augustin [3], et si la tradition des Grecs, rapportée par Suidas [4], était vraie, c’est que le philosophe Phérécydes fut le premier qui écrivit des ouvrages. Notez qu’Aristote observe que les écrits d’Anaxagoras sont postérieurs à ceux d’Empédocle, quoique celui-ci fût plus jeune qu’Anaxagoras [5].

(R) Socrate... ne fut pas content de la lecture de ses ouvrages : ce fut apparemment sa faute. ] Nous allons faire deux choses : l’abrégé de la plainte de Socrate, et puis quelques réflexions.

Ayant su, dit-il [6], qu’on établissait dans un ouvrage d’Anaxagoras, qu’un entendement règle toutes choses, et les produit [7], je fus fort content de cette espèce de cause, et je me figurai qu’il en devait résulter que chaque être avait été conditionné et situé de la manière la plus excellente. J’espérai donc avec une extrême joie de trouver enfin dans ce livre d’Anaxagoras un maître qui n’enseignât les causes de chaque chose, qui m’apprît d’abord si la terre est ronde ou plate, et puis la raison de ce qu’il aurait déterminé ; et comme je crus que cette raison aurait pour base l’idée de la plus haute perfection, j’espérai qu’il me montrerait que l’état où est la terre est le meilleur qu’elle pût avoir, et que s’il la mettait au centre, il exposerait pourquoi cette situation était la meilleure de toutes. Je me fixai à ne rechercher aucune autre espèce de cause, pourvu qu’il m’éclaircît bien cela, et à demander seulement ensuite par rapport aux proportions de vitesse et de révolution, etc., qui se trouvent entre le soleil, la lune et les autres astres, quelle est la meilleure raison pourquoi ces corps, et en qualité d’agens, et en qualité de patiens, sont ce qu’ils sont ; car je n’eusse jamais pu m’imaginer qu’un philosophe, qui avait dit qu’un entendement conduisait toutes ces choses, alléguerait aucune autre cause que de prouver que l’état où elles se trouvent est le meilleur qui puisse être. Je croyais aussi, qu’ayant expliqué par cette sorte de cause la nature particulière de chaque corps, il expliquerait en général leur bien commun. Plein de cette belle espérance, je me portai avec la dernière ardeur à la lecture de ses écrits, afin de connaître bientôt ce qui est très-excellent et ce qui est très-mauvais ; mais je trouvai que ce philosophe n’emploie point l’intelligence, ni aucune cause de l’arrangement : il ramène toutes choses à l’air, à l’éther, à l’eau et à tels autres sujets impertinens, comme à leur origine [8]. C’est comme si quelqu’un, après avoir dit que je fais par l’entendement tout ce que je fais, donnait ensuite la cause de mes actions particulières, à peu près comme ceci : Socrate est assis, parce que son corps est composé d’os et de nerfs, qui, par les règles de la mécanique, font qu’il peut plier et courber ses membres. Il parle, parce que le mouvement de sa langue agite l’air, et porte son impression jusqu’aux oreilles, etc. Un tel homme oublierait la vraie cause ; savoir que les Athéniens ayant jugé qu’il valait mieux qu’ils me condamnassent, j’ai trouvé qu’il valait mieux

  1. Diog. Laërtius, lib. VIII, num. 83. Voyez ci-dessus la citation (a) de l’article Alcméon de Crotone.
  2. Clem. Alexand. Stromat., lib. II, pag. 308.
  3. Ci-dessus, citation (85).
  4. Suidas in Ἑκαταῖος.
  5. Aristot. Metaphys., lib. I, cap. III. Voyez là-dessus le Commentaire de Fonseca, pag. 218.
  6. Plato, in Phædone, pag. 72, et seq.
  7. ̔Ως ἄρα νοῦς ἐςὶν ὁ διακοσμῶν τε καὶ πάντων αἴτιος. Mentem omnia exornare, omniumque causam esse. Plato, in Phædone, pag. 72.
  8. Ὁρῶ ἄνδρα τῶ μὲν νῷ οὐδὲν χρώμενον, οὐδέ τινας αἰτίας ἐπαιτιώμενον εἰς τὸ διακοσμεῖν τὰ πράγματα, ἀέρας δὲ καὶ αἰθέρας καὶ ὕδατα αἰτιώμενον καὶ ἄλλα πολλὰ καὶ ἄτοπα. Hominem video mente nusquàm uti, ornatusque rerum causas afferre nullas. Sed aëreas naturas et æthereas aqueasque et talia multa absurda pro rerum causis assignare. Plato, in Phæd., pag. 73, D.