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ANAXAGORAS.

un autel. ] Élien et Diogène Laërce nous ont conservé cette épitaphe ; elle consiste en ces deux vers :

 ̓Ενθάδε, πλεῖςον ἀληθείας ἐπὶ τἐρμα περῄσας
Οὐρανίου κόσμου, κεῖται Ἀναξαγόρας [1].

Hìc situs ille est, cui rerum patuêre recessus,
Atque arcana poli, magnus Anaxagoras.


Il y a autant d’énergie dans ce distique, que dans ces sept vers français, où l’on a voulu donner un semblable éloge.

Descartes, dont tu vois ici la sépulture,
A dessillé les yeux des aveugles mortels :
Et gardant le respect que l’on doit aux autels,
Leur a du monde entier démontré la structure.
Son nom par mille écrits se rendit glorieux,
Son esprit mesurant et la terre et les cieux,
En pénétra l’abîme et perça les nuages [2].


Diogène Laërce ne parle point de l’autel d’Anaxagoras ; c’est Élien qui en fait mention [3]. Il semble dire qu’on lui en consacra deux : l’un, sous le nom de l’entendement ; l’autre, sous le nom de la vérité ; mais un fort savant critique [4] n’entend pas ainsi le passage : il le fait signifier que l’inscription de l’autel était selon quelques-uns à l’entendement, et selon d’autres à la vérité. Aristote observe que les habitans de Lampsaque continuaient à honorer Anaxagoras [5]. Remarquons qu’au temps de saint Augustin, on faisait encore sonner bien haut l’autorité de ce philosophe : Quam (veritatem) si sensit Anaxagoras, eamque Deum esse vidit, mentemque appellavit, non solùm nomen Anaxagoræ quod propter litteratam vetustatem, omnes, ut militariter loquar, litteratiores libenter sufflant, nos doctos et sapientes non facit, sed ne ipsa quidem ejus cognitio, quâ id verum esse cognovit [6].

(P) On n’est pas assuré qu’il ait tenu pour le dogme de la prédestination. ] Il s’opposa, dit-on, à ce dogme très-fortement [7], et le combattit dans ses ouvrages : mais il n’y a qu’Alexandre d’Aphrodisée qui l’assure ; et il le fait même d’un air à nous tenir en suspens, puisqu’il observe qu’Anaxagoras réfuta cette doctrine par engagement de dispute, et non par un choix prémédité, ou primitif. Il avait besoin de la combattre, pour soutenir un autre dogme ; c’est-à-dire, qu’ayant compris qu’en ne la combattant point, il ne pourrait pas se bien défendre contre ceux qui attaqueraient ce dogme, il écrivit contre le destin. Alexandre d’Aphrodisée remarque judicieusement qu’une telle circonstance rend douteuse la foi d’Anaxagoras. En effet, il y a bien peu de choses qu’un auteur ne fasse dans la chaleur de la dispute, pour ôter à ses adversaires les avantages qu’ils pourraient tirer, ou de son silence, ou de ses aveux. Il se contredira plutôt, il affirmera plutôt ce qu’il ne croit pas, que de souffrir qu’on se serve de ses propres armes contre lui-même. Quoi qu’il en soit, voici un passage de Gabriel Naudé : Obtulit se tandem Alexander ex Aphrodisiade [* 1], facemque in his tenebris versanti prætulit, quamquam eo scrupulo injecto, quòd fide dignus Anaxagoras, dùm istud assereret, minimè fuerit, non quòd propositio ejusmodi vera non esset, verùm quia in alterius opinionis suæ defensionem, quam suscipere cogebatur, non autem ex solâ determinatâque voluntate adversùs fatum scribendi, illam protulisset [8]. Cet auteur venait de dire que les modernes, qui assurent qu’Anaxagoras était contraire à la prédestination, ne citent aucun ancien qui ait parlé de cela. Il avait dit aussi que Diogène Laërce, Cicéron, Galien, Plutarque, Origène, n’en ont fait nulle mention.

(Q) Il est le premier philosophe qui ait publié des livres. ] Diogène Laërce le dit positivement : Πρῶτος δὲ Ἀναξαγόρας καὶ βιϐλίον ἐξέδωκε συγγραϕῆς. [9]. Primus autem Anaxagoras librum à se scriptum edidit : mais,

  1. (*) Lib. de Fato, cap. I, et lib. de Animâ, cap. ultim.
  1. Diog. Laërtius, lib. II, num. 15.
  2. Baillet, Vie de Descartes, tom. II, pag. 443.
  3. Æliani Var. Hist., lib. VIII, cap. XIX.
  4. Kuhnius in hunc locum Æliani.
  5. Arist. Rhetoric., lib. II, cap. XXIII, pag. 445.
  6. Aug. Epist. XVI, pag. 272.
  7. Communi hominum opinioni de fato quantùm potuit reluctatus est. Naudæus, de Fato et Vitæ Termino, pag. 20.
  8. Idem, ibid.
  9. Diog. Laërtius, lib. II, num. 11.